Le « mythe Messaline » : réécritures et exégèses

Date : Mardi 18 février 2014
Horaire : 16h30-18h30
Lieu : Salle du CETAS (A506)

Intervention de Jean-Noël Castorio (U. Le Havre, CIRTAI)

Séance du séminaire « Transferts, hybridation: histoire, discours, fiction » (cliquez sur le lien pour retrouver le programme du séminaire et toutes les informations).

On ne saurait évoquer Valeria Messalina, l’épouse de l’empereur Claude (41-54), sans citer au préalable ce qu’écrit à son propos le satiriste romain Juvénal :

 « Dès qu’elle sentait son mari endormi, préférant sans vergogne une couchette à son lit d’apparat, la Pute Imperiale [meretrix Augusta] s’encapuchonnait et s’évanouissait dans la nuit, sans autre compagnie qu’une servante. Camouflant ses cheveux noirs sous une perruque blonde, elle gagnait un bordel moite aux rideaux rapiécés où un box lui était affecté, elle s’y exhibait nue, les seins pris dans une résille d’or, sous son pseudonyme affiché, ‘Lycisca’, et proposait la matrice qui t’a porté, noble Britannicus ! Elle faisait goûter ses caresses à qui entrait, se faisait payer sa passe, renversée, ouverte, une foule la besognait et y déchargeait, et quand le bordelier libérait enfin ses filles, elle s’en allait tristement, n’ayant pu qu’être la dernière à fermer boutique, brûlante encore de la tension de sa vulve raide, elle rentrait, fatiguée du mâle mais toujours pas repue, les paupières ignoblement battue, crasseuse de la suie du lumignon, rapporter dans l’alcôve auguste le remugle du bordel ! » (Juvénal, Satires, VI, v. 115-132, traduction O. Sers).

Rarement invective contre une femme aura atteint un tel degré de violence ! Et, que les faits rapportés par l’auteur des Satires relèvent de la calomnie ou pas, ses mots ne seront en tout cas pas oubliés : pour la postérité, Messaline incarnera désormais la figure par excellence de la concupiscence sans limites, du désir sexuel féminin incontrôlé et incontrôlable.

Ainsi, dès le XVIe s., alors que l’Occident redécouvre avec passion l’œuvre littéraire des Anciens, des dramaturges de toute l’Europe font d’elle le vivant symbole de la sauvagerie sexuelle. À la fin du XVIIIe s., son nom entre dans le vocabulaire commun pour désigner « une femme rongée par le désir ou sexuellement dégénérée » – ainsi que la qualifie un dictionnaire de l’époque –, tandis que durant le siècle suivant, médecins et psychiatres, qui élaborent alors progressivement le concept de « nymphomanie », l’érigent au rang de preuve de la plus haute antiquité du mal. À la faveur de l’esprit « décadent » qui souffle sur l’Europe à la fin du XIXe s. et au début XXe s., ce sont des dizaines de romans, d’œuvres lyriques et de tableaux d’histoire qui lui sont consacrés. Enfin, durant le XXe s., le cinéma, la télévision et la bande dessinée s’emparent également d’elle, la transformant ainsi en héroïne populaire.

On l’aura compris : l’objet de cette intervention est d’explorer la postérité de cette surprenante figure, qui, depuis plus de cinq siècles maintenant, alimente les fantasmes des sociétés occidentales.

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Agrégé de l’université, Jean-Noël Castorio est maître de conférences en histoire ancienne à l’Université du Havre et membre du CIRTAI (UMR CNRS IDEES). Auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l’art funéraire romain, il travaille actuellement à une biographie de l’impératrice Messaline.