Dérivation nominale et innovations dans les langues indo-européennes anciennes

La comparaison des langues indo-européennes anciennes a permis de dresser un panorama relativement précis des mécanismes de la dérivation nominale (substantifs et adjectifs) pour la langue « mère », et cela dès la fin du XIXe siècle : le Grundriss de Karl Brugmann fournit une liste substantielle de suffixes en indiquant à quelle base (substantivale, adjectivale, verbale) ils s’adjoignent et comment se présente l’élément radical, qui peut être au degré plein, avec vocalisme e ou o, ou au degré zéro. Mais lorsqu’on examine les dérivés nominaux d’une langue particulière, on rencontre certains suffixes que l’on ne peut pas projeter directement en indo-européen et, pour ceux qui viennent de l’indo-européen, on peut remarquer des modifications dans la formation des lexèmes. On peut avoir par exemple un changement de degré vocalique de la base, les dérivés dits primaires tendent à être remplacés par des dérivés secondaires, etc. On découvre en fin de compte que dans la synchronie des langues indo-européennes anciennes le tableau des formations suffixales est très sensiblement différent de celui qu’on reconstruit pour l’indo-européen. Il y a donc eu des innovations.

Les suffixes ont d’ordinaire une fonction qui paraît très stable au cours des siècles et même au cours des millénaires. Un exemple bien connu est celui du suffixe *-ter-/-tor– qui fournissait en indo-européen des noms d’agent et qui fournit encore aujourd’hui à une langue aussi éloignée de l’indo-européen que le français, des noms qui indiquent l’agent, animé ou inanimé, d’une fonction (horodateur, ordinateur, etc.). Par rapport à la nature des bases, il y a aussi une grande stabilité : tel suffixe s’adjoint à des bases nominales, tel autre à de bases verbales, et chacun respecte le domaine de l’autre. Néanmoins, la différence entre l’état reconstruit pour l’indo-européen et l’état observé dans les langues indo-européennes montre que la dérivation nominale a bel et bien été le lieu de changements importants.

Comment se sont produites les innovations qui ont amené les différentes langues à différer largement entre elles dans la formation de leurs lexèmes ? Telle est la question que nous souhaitons examiner au cours de ce colloque.

Plusieurs points nous paraissent mériter une attention tout à fait particulière :

  1. La productivité des suffixes. Dans les langues anciennes, c’est-à-dire des langues à corpus clos, on peut l’apprécier, et cela aujourd’hui d’autant mieux que nous disposons d’outils informatiques de plus en plus performants. Des études de détail relativement précises ont été faites, même avant l’ère de l’informatique, mais il reste à faire, et il conviendra de s’interroger sur les causes de la productivité ou de la non-productivité de la dérivation avec tel ou tel suffixe.
  2. Du point de vue morphologique et phonétique, les problèmes de jonction entre le radical de la base et le suffixe. Théoriquement, on s’attendrait qu’à une base en voyelle s’adjoigne un suffixe en consonne, et qu’à une base en consonne s’adjoigne un suffixe en voyelle. Ce n’est pas toujours le cas. Il sera donc intéressant de voir les cas où cette harmonie est respectée et ceux où elle ne l’est pas, et de voir les accidents phonétiques et morphologiques qui ont pu survenir à la frontière des morphèmes.
  3. L’histoire des suffixes a été écrite dans ses grandes lignes, sinon depuis l’indo-européen jusqu’aux langues anciennes (il reste en fait bien des obscurités), du moins depuis les langues anciennes jusqu’aux langues modernes et on peut constater que chaque suffixe a ses caractéristiques propres et que chaque groupe dérivationnel présente une forte unité sémantique. Il arrive pourtant, au fil du temps, qu’un suffixe vienne empiéter sur un autre, qu’un groupe dérivationnel se développe aux dépens d’un autre, au risque de l’étouffer, de le tarir. Des problèmes sémantiques se posent donc : des formations primitivement distinctes par leur sens en viennent à se concurrencer, ce qui signifie qu’elles deviennent, grosso modo, synonymes. Nous pensons, là aussi, que des études peuvent être facilités par le recours aux nouveaux outils de la recherche et par la prise en compte, aussi, des nouveaux matériaux, nombreux, livrés par la papyrologie et par l’épigraphie. Le genre des documents, les niveaux de langue, les variations régionales seront autant de paramètres à évaluer et à discuter.

Les études portant sur la morphologie des langues anciennes sont une tradition à l’UFR Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Rouen Normandie. Le colloque précédent (« Nouveaux acquis sur la formation des noms en grec », Mont-Saint-Aignan, 17-18 octobre 2013) a permis de publier le livre du même nom (A. Blanc et D. Petit, Nouveaux acquis sur la formation des noms en grec, Collection de la Société de Linguistique de Paris, tome 101, Louvain-Paris, Peeters, 335 p.). Il portait sur une seule langue. Pour le colloque d’octobre 2018, on choisit de ne pas se borner à une langue unique, mais de considérer les langues indo-européennes anciennes à corpus important, qui permettent de bien voir comment se sont constituées les régularités morphologiques et comment ont pu se créer des irrégularités, dont il faudra déterminer les causes.

On s’intéressera avant tout aux systèmes, en synchronie et en diachronie, dans les grandes langues indo-européennes ou dans leurs variétés dialectales, en tentant de montrer leur cohérence interne et éventuellement ce qui a pu, pour une raison ou pour une autre, la détruire, momentanément ou durablement.

Les communications dureront 25 minutes et seront suivies de 10 minutes de discussion.

L’Université Rouen Normandie prendra en charge les frais de résidence dans un hôtel et les repas de mi-journée.

Les propositions de communication sont à adresser par e-mail avant le 31 mars 2018 aux trois adresses qui suivent :

avec un exposé précis du problème qui sera traité (1 page A4, interligne 1.15, police Times New Roman 12). Les propositions retenues/non retenues seront annoncées aux auteurs au plus tard le 15 mai 2018.

Lieu

Université de Rouen Normandie | Maison de l’Université | Mont-Saint-Aignan

Date

11-12 octobre 2018

Comité d’organisation

  • Alain BLANC, Université de Rouen, ERIAC – CNRS Lyon, HiSoMA ;
  • Isabelle BOEHM, Université Lyon 2 – Laboratoire HiSoMA ;
  • Daniel PETIT, ENS Ulm, Laboratoire AOROC – EPHE IVe Section.

Comité scientifique

  • Maria Patrizia BOLOGNA, Professore Ordinario, Università degli Studi di Milano ;
  • Philippe BRUNET, Professeur, Université Rouen Normandie ;
  • Véronique CHANKOWSKI, Professeure, Université Lumière Lyon 2 ;
  • Markus EGETMEYER, Professeur, Université Paris-Sorbonne,
  • Jeremy RAU, Professeur, Harvard University (Cambridge, Massachusetts) ;
  • Sophie MINON, Directrice d’études, EPHE IVe Section ;
  • Brent VINE, Professeur, University of California, Los Angeles ;
  • Andreas WILLI, Professeur, University of Oxford.