Une manifestation du cycle de Jespersen en grec ancien : emphase en synchronie, impasse en diachronie
Horaire : 16h30-18h(30)
Lieu : UFR LSH | Bât. 3 | Salle A600 | Mont-Saint-Aignan
Dans le cadre bien connu du renouvellement des indéfinis négatifs, on admet généralement que les nouvelles formes ont une valeur pragmatique, dite « emphatique », avant que ces nouvelles formes ne soient employées par défaut. La notion d’emphase mérite cependant d’être précisée et appuyée sur des critères linguistiques. C’est le but principal de cette présentation, qui s’appuie sur les données du grec de la fin de la période classique (première moitié du IVe siècle avant notre ère).
Le renouvellement considéré est le suivant : à la fin de l’époque classique, l’indéfini négatif par défaut οὐδείς [u:dé:s] (‘aucun’, ‘rien’) est scindé en deux mots graphiques et fonctionnels οὐδ(έ)… εἷς [u:dé hê:s] (‘pas même… un seul’), ce qui conduit à redonner à l’indéfini négatif son sens originel et motivé. Le phénomène est bien connu des hellénistes, qui l’expliquent habituellement comme une manifestation du cycle de Jespersen, dans une acception lâche de la notion, c’est-à-dire comme un renforcement sémantique de l’indéfini négatif. Les formes scindées qui en résultent sont donc décrites comme des indéfinis négatifs emphatiques.
Une telle approche fait émerger une question qui n’a jamais été étudiée jusqu’à présent : si les formes scindées sont emphatiques, elles n’ont donc pas exactement le même sens que les formes univerbées. Les différences concernent la portée de la négation, la possibilité d’emploi comme termes à polarité négative, les possibles emplois quantifiants. La différence la plus frappante porte sur l’effet abaissant de la négation, une caractéristique qui n’est pas toujours observée dans les formes scindées, contrairement aux formes univerbées. Il s’agit donc d’examiner précisément les critères qui différencient les formes scindées des formes univerbées. Pour ce faire, je m’appuie sur un corpus de prose classique pour tester les différents critères et rendre compte des emplois réellement attestés.
À travers cette étude de cas, je montrerai que le développement diachronique n’est pas aussi simple qu’il y paraît et que la valeur emphatique est un effet secondaire provoqué par des caractéristiques proprement linguistiques liées à la focalisation et à la quantification.
Camille DENIZOT est maître de conférences de linguistique grecque à l’université Paris Nanterre. Ses recherches portent sur la syntaxe, la sémantique et la pragmatique du grec ancien. Après avoir travaillé sur les formes linguistiques de l’injonction dans cette langue (Donner des ordres en grec ancien. Étude linguistique des formes de l’injonction, 2011, Mont-Saint-Aignan, PURH), elle s’intéresse à présent à plusieurs questions : dans une perspective pragmatique, aux questions de politesse et à l’exclamation, et dans une perspective syntaxique et sémantique, à l’expression de l’éventualité et aux négations multiples du grec.