Re-constitutions ?
Horaire : 09h00-17h00
Lieu : Maison des Sciences de l’Homme | Salle B1-18 | 54 boulevard Raspail, Paris
Cette journée d’études est organisée par le CIRRAS dans le cadre du cycle de recherches « Mémoire et création au théâtre. Une traversée du temps, des espaces et des cultures ».
Elle est coordonnée par Françoise Quillet (Université de Franche Comté, MSHE Besançon, Directrice du CIRRAS), Susie Vusbaumer (Université de Rouen Normandie, ERIAC), et Erica Letailleur (Université Côte d’Azur, CTEL).
Le cycle de recherches « Mémoire et création au théâtre », programmé dans le cadre des activités du CIRRAS, offre une traversée du temps, des espaces et des cultures. À travers l’organisation de différentes journées d’études, nous y aborderons les multiples approches de la mémoire : individuelle, collective, corporelle, psychologique, celle des supports archivistiques, des documents, etc.
Cette première journée est traversée par l’idée de retrouver (revivre) un temps oublié ou perdu. À travers des récits d’expériences concrètes concernant l’époque antique, la période baroque, l’histoire contemporaine du Cambodge et de l’Indonésie, il s’agit d’explorer la pertinence de la notion de reconstitution (qui peut être aussi reconstruction, recréation, recomposition, régénération, réfection, renouvellement…) de l’oeuvre passée.
PROGRAMME
09h00 – Accueil des participants
09h30 – « Réinventer un art perdu : règles et rêves du théâtre de Dionysos. (Retour sur Les Suppliantes) », Philippe Brunet (Université de Rouen Normandie / Compagnie Demodocos) et Aymeric Münch (Professeur de Lettres Classiques / Compagnie Demodocos).
10h30 – Pause
11h00 – « L’approche expérimentale de Théâtre Molière Sorbonne : enquêter sur la mémoire archivée, réactiver la mémoire incorporée », Mickaël Bouffard (CELLF, Sorbonne Université).
12h00 – Discussion, modérée par Susie Vusbaumer.
12h30 – Pause déjeuner.
14h00 – « Le ballet national du Cambodge (reconstitution et re-création) », Suppya Hélène Nut (INALCO).
14h30 – « Qui est celui qui danse… masqué ? », Santha Leng (danseur, chorégraphe, comédien).
15h00 – Pause.
15h30 – « Les initiatives occidentales de renaissances artistiques à Bali et le Dharma de renouveau cyclique versus les valeurs occidentales de conservation, travail de mémoire et devoir de mémoire », Kati Basset (INALCO).
16h30 – Discussion, modérée par Erica Letailleur.
RÉSUMÉS
Réinventer un art perdu : règles et rêves du théâtre de Dionysos. (Retour sur Les Suppliantes)
On a parlé du Théâtre Demodocos à l’occasion des Suppliantes d’Eschyle, spectacle créé en 2016 et dont la création masques a été empêchée le 25 mars 2019 en Sorbonne. Le spectacle joué finalement le 21 mai au grand amphithéâtre de la Sorbonne à l’invitation des ministres de la culture et de l’enseignement supérieur a pu déployer ses gestes, ses danses, ses dispositifs bilingues, et ses systèmes de déclamation rythmique. Rien de nouveau pour la compagnie si ce n’est que l’occasion est donnée aujourd’hui, en marge des vrais et des faux débats sur les identités, de confronter l’expérience du public avec les intentions de la mise en scène.
Philippe Brunet – helléniste, est professeur à l’université de Rouen Normandie (ERIAC). Traducteur et metteur en scène, il a créé la compagnie Demodocos en 1995, école et laboratoire de poésie, de musique, de danse et de théâtre, pour recréer le répertoire antique et réalise des adaptations cinématographiques du travail théâtral (Bacchantes, Œdipe Roi).
Aymeric Münch – Professeur agrégé de Lettres Classiques dans un lycée parisien, Aymeric Münch a rejoint la troupe de théâtre antique Démodocos lors de ses études en Sorbonne. Encouragé par son fondateur, Philippe Brunet, il s’est lancé dans l’aventure de la traduction métrique avec Les Perses (ed. du Relief, 2009), Les Euménides et Les Suppliantes d’Eschyle ainsi que Les Géorgiques de Virgile. C’est sous sa direction et pour défendre un tel travail qu’il a soutenu en 2014 une thèse consacrée aux modalités de la parole tragique et épique en traduction. Une Enéide en hexamètres français est en cours…
L’approche expérimentale de Théâtre Molière Sorbonne : enquêter sur la mémoire archivée, réactiver la mémoire incorporée
Le jeu du comédien du XVIIe siècle nous est connu par des sources écrites, iconographiques et matérielles, souvent lacunaires, voire hermétiques, mais plus précises et plus nombreuses que pour toute époque antérieure. Ce corpus de témoignages – susceptibles de survivre à ceux qui les ont produits – constitue ce que l’historienne Diana Taylor a baptisé la mémoire archivée. La mémoire incarnée, quant à elle, a disparu quand les traditions de jeu ont cessé d’être transmises et que ceux qui les pratiquaient ont emporté leur savoir-faire dans la tombe. Lorsque nos méthodes d’enquêtes semblent avoir épuisé leur potentiel heuristique face à la mémoire archivée, l’expérimentation donne de nouveaux outils pour soutirer au passé des secrets qu’on pensait perdus dans l’épaisseur du temps. Ainsi, Théâtre Molière Sorbonne, à la fois école, troupe et lieu d’expérimentation, cherche à mieux comprendre le théâtre du Grand Siècle en réactivant et incorporant les pratiques de jeu et de déclamation décrites à cette époque.
Michaël Bouffard – Chargé de recherche au Centre d’Étude de la Langue et des Littératures Françaises (CELLF) de Sorbonne Université, Mickaël Bouffard est historien d’art, spécialiste de l’iconographie théâtrale, du costume et des pratiques scéniques sous l’Ancien Régime (théâtre, opéra, ballet). Il est présentement co-directeur artistique et scientifique de Théâtre Molière Sorbonne avec Georges Forestier et Jean-Noël Laurenti.
Le ballet national du Cambodge (reconstitution et re-création)
La mémoire est la source essentielle du théâtre de cour puisque la transmission se fait uniquement par l’oralité de maître à disciple. Qui dit transmission orale dit aussi fluidité et respiration où perte et nouveauté se conjuguent dans un temps long, dans le cadre de la tradition. Or, la révolution des Khmers rouges a mis fin à cette transmission (ou presque !) avec la disparition de 90 % de ses artistes en un laps de temps très court, cinq années. Après avoir défini brièvement le théâtre de cour du Cambodge, Suppya Hélène Nut va examiner le travail de reconstitution et de régénération de leur répertoire par les artistes du Ballet royal du Cambodge depuis les années 1975-80 jusqu’à nos jours.
Suppya Hélène Nut – est enseignante en littérature cambodgienne et en théâtre des pays d’Asie du Sud-Est à l’INALCO. Elle a pratiqué la danse de cour du Cambodge avant de diriger une association « Le Ballet Classique Khmer » à Paris. Depuis, elle s’est consacrée à l’étude et à l’histoire du théâtre de cour du Cambodge en examinant les archives coloniales et en travaillant sur les mémoires des artistes de la troupe nationale « Le Ballet royal du Cambodge ». Elle a notamment réalisé une soixantaine de vidéos sur les artistes du Cambodge et se consacre aux oeuvres chorégraphiques de la princesse Norodom Buppha Devi.
Qui est celui qui danse… masqué ?
« Tu nous es revenu de loin et d’il y a longtemps. Aujourd’hui ton initiation s’achève. Souviens-toi de mon enseignement, honore ce masque de Hanuman et garde-le vivant. » Le maître de danse des Singes.
« … puis il te faudra tout oublier… et un matin tu trouveras le premier mot de ton premier poème…« R.M. Rilke.
Santha Leng – Depuis 1991 direction de la Compagnie Cabaret des Oiseaux : danses de tradition du Cambodge et création contemporaine. 2006, Co-écriture du documentaire « Au pays des danseuses de pierres ».
1993 – « Master class » : danse classique khmère / contemporain, Faculté des Arts chorégraphiques et Théâtre National. 1980-81, stagiaire CNDC dirigé par Alwin Nikolaïs (Centre National de la Danse Contemporaine).
1996 – Villa Médicis Hors les Murs au Cambodge : recherche et création. « Arc en ciel ».
2008 – Licence LLCA ASE INALCO.
2019 – Master Histoire, Université Le Havre, en cours.
Les initiatives occidentales de renaissances artistiques à Bali et le Dharma de renouveau cyclique versus les valeurs occidentales de conservation, travail de mémoire et devoir de mémoire
Plusieurs décennies à redonner vie à des troupes et des genres scéniques en Indonésie, pour et avec des Indonésiens, et à les agencer dans des spectacles de création, et aussi à en rendre compte dans des publications sur commandes, mais pourtant presque aux antipodes de l’idéologie de conservation, de musée, d’archivage, de mémoire… La motivation première, c’était que ça vive, sur sa terre. Pas en boîtes de conserve (exportées), dont la valeur aurait honteusement augmenté quand leur contenu aurait disparu d’Indonésie.
Après quelques exemples (illustrés) de la renaissance artistique, viendra la question : est-ce que sans les initiatives étrangères, Bali aurait perdu ses traditions ? Et la religion qui les motive ? Ce seraient déj à les colonisateurs néérlandais qui auraient décidé de faire de Bali un « musée vivant » voué au tourisme. Et les bombes des attentats islamistes ont motivé une autre renaissance.
Mais non, Bali c’est la science du constant renouveau, littéralement « rajeunissement » (somya) vers le passé, par les procédés bali/wali de retour, d’inversion du temps et de la genèse et de résorption de l’univers. Cette religion qui fait l’identité des Balinais tient d’une cosmologie (physique et métaphysique) articulée à une idéologie en total contraste avec les notions et les valeurs occidentales (mondialisées), y compris avec l’idéologie de la mémoire et de la conservation, mortifères. Cela explique, entre autres, que dans la tradition il n’y ait pas de pièces de théâtre, d’auteurs, de maîtres, de notation musicale, de barrages, de bâtiments faits pour durer, de statues d’individus terrestres, de marquage des tombes, de monuments commémoratifs, etc.
On verra ce qui – la re-présent-ation – s’oppose au travail de mémoire et qui fonctionne bien autrement, ce qui dans le Dharma concerne toute chose et aussi et surtout les défunts… et qui, notamment concernant ces derniers, pourrait questionner le fameux « devoir de mémoire » du pire comme du meilleur imposé partout dans l’idéologie occidentale mondialisée. À force, l’Asie ne commence-t-elle pas à perdre la mémoire… de sa science du renouveau ?
Catherine (Kati) Basset – Après des études de musique et de musicologie, elle a vécu en Indonésie, jouant du gamelan dans les temples et redonnant vie à une dizaine d’anciennes formes musicales et scéniques. Elle a ensuite enchaîné les missions pour des publications, des spectacles et des recherches scientifiques (membre associé du labo Centre Asie du Sud-Est CNRS-EHESS). Sa thèse de doctorat d’ethnologie à Paris X (2004), réalisée au laboratoire d’ethnomusicologie (CNRS-Musée de l’Homme) et saluée par un jury très international, révolutionne la théorie de la musique de gamelan par sa découverte de la « musique-mandala » (ou kalacakra, « Roue du Temps »). Kati Basset est, par ailleurs, l’auteur de nombreuses publications sur divers supports, d’émissions radiophoniques et de très nombreuses communications orales, ainsi que de spectacles de théâtre dansé (et d’ombres) ambitieux avec des Balinais, des Javanais, ou des enfants de France, donnés avec succès dans les grandes salles et festivals de France et d’Europe.