Quand le coeur ou l’esprit basculent : expériences capitales de bouleversements ou conversions spirituels, philosophiques, psychologiques, artistiques (Espagne, XIXe-XXIe siècle)
Horaire : 08h45-18h00
Lieu : Sorbonne | Salle des Actes | Paris
À l’occasion de cette Journée d’études, organisée dans le cadre de la réflexion du CRIMIC (UR 2561) de Sorbonne Université sur « Penser la capitalité », et en collaboration avec l’ERIAC de l’Université de Rouen Normandie, nous aborderons la question des expériences existentielles capitales, de bouleversement, de renversement, de conversion, spirituels, philosophiques, psychologiques, artistiques, lorsque le coeur ou l’esprit basculent. Le basculement étudié consiste a priori en un basculement pérenne, suite à une expérience de révélation, de dévoilement, radical et définitif, s’opérant soit brutalement, soit dans une avancée processuelle. Nous nous pencherons sur le moment de l’expérience capitale et initiatique, de l’événement, lorsque les yeux, les oreilles ou le coeur se mettent à voir, entendre ou vivre ce qu’ils ne concevaient pas auparavant. Cette expérience peut prendre de nombreuses formes, comme un ravissement, une visitation, une effusion, un moment suspendu de grâce. Quelque chose dans la personne vacille et l’être entier en sort changé, comme si ce moment, cette rencontre la mettait en présence d’un réel auquel elle était auparavant absente. Héraclite, dans un fragment célèbre, dit des hommes : « Présents, ils sont absents ». Il s’agira de comprendre comment les hommes, par ces expériences capitales, peuvent se mettre à être réellement présents au monde dans lequel ils vivaient tièdement, confortablement.
PROGRAMME
08h45 — Accueil
09h00 — Lise Jankovic (ERIAC, Université de Rouen Normandie) & Camille Lacau St Guily (CRIMIC, Sorbonne Université), Introduction
Modération par Miguel Olmos (Professeur, ERIAC, Université de Rouen)
9h20 — Kalyane Fejtö (Psychanalyste à la Société Psychanalytique de Paris), « Existe-t-il des révélations dans le processus analytique ? »
Le processus analytique s’inscrit dans un temps long, analogue à une course de fond, au cours duquel certains moments se détachent avec plus ou moins de netteté. Ces moments se caractérisent par des prises de conscience que l’on peut qualifier de capitales, au sens où elles viennent bouleverser une logique psychique qui prévalait jusque-là. Ce sont les contours de ces expériences que nous tenterons de délimiter.
10h00 — Yves Roullière (Essayiste, éditeur et traducteur, Paris), « La congoja comme révélation. Miguel de Unamuno face à l’agonie de son enfant Raimundo »
L’un des événements majeurs de la vie du poète, romancier et philosophe Miguel de Unamuno (1864-1936) fut, en janvier 1896, la naissance de son troisième fils, Raimundo, atteint d’hydrocéphalie. Après de nombreuses tentatives pour stopper la maladie, il fallut se résoudre à une mort prochaine. C’est à ce moment-là qu’Unamuno décide de prendre soin à temps complet de Raimundo, en l’installant dans son propre bureau de recteur de l’Université de Salamanque à partir de 1900. Le « sentiment tragique de la vie » ne peut se comprendre sans cet événement-clé.
10h25 — Discussion
10h45 — Pause café
Modération par Yves Roullière (Essayiste, éditeur et traducteur, Paris)
11h10 — Camille Lacau St Guily (CRIMIC, Sorbonne Université), « “Certains lieux de la peinture”, comme expérience ontologique, de révélation chez María Zambrano »
Par la peinture, comme le montrent notamment ses textes Algunos lugares de la pintura, Delirio y destino, ou d’autres comme “El idiota”, María Zambrano a vécu des expériences intimes et personnelles « privilégiées » de l’être. C’est par la peinture qu’elle semble vivre la « Raison poétique », en y découvrant une présence ontologique, qu’elle nomme « révélation ». L’authentique peinture, qui n’a rien à envier alors à la philosophie, participe, elle aussi, à une forme d’alètheia. Certaines toiles sont, dans le coeur et l’esprit de Zambrano, des événements qui lui font vivre des expériences rares de conversion ou basculement capitaux.
11h35 — Lucia Mendes Soria (CRIMIC, Sorbonne Université), « “Vuelvo y te desconozco” : renversements spirituels et vocabulaire mystique dans Báculo de Babel (1982) de Blanca Andreu »
Cette intervention analyse le deuxième recueil de poèmes de Blanca Andreu (A Coruña, 1959), une série de visions apocalyptiques qui jalonnent un cheminement spirituel et une méditation sur le pouvoir transformateur, révélateur, de la poésie et sur la survivance du caractère sacré de la parole. Nous examinons dans le détail comment cette écriture emprunte un « vocabulaire du mysticisme » (d’après l’expression de Sylvia Sherno) et se nourrit de filiations proches du surréalisme (Poeta en Nueva York, de Federico García Lorca) ou de l’orphisme (Rainer Maria Rilke).
12h00 — Discussion
12h20 — Déjeuner Club des enseignants
Modération par Adeline Chainais (ReSO, Université Paul Valéry-Montpellier 3)
14h00 — Anne-Sophie Riegler (EHIC, Université de Limoges), « Esquisse d’une analyse comparative entre le duende du flamenco et la révélation en psychothérapie »
Le duende du flamenco s’apparente souvent à une expérience d’intensité susceptible d’induire des changements non seulement artistiques ou esthétiques mais aussi éthiques chez la personne qui l’éprouve. Il est parfois rapproché de phénomènes psychiques tout aussi remarquables par leur intensité mais survenant dans d’autres cadres. Nous étudierons ici le bien-fondé d’une comparaison entre le duende et certains moments dits de révélation en psychotérapie.
14h25 — Hélène Frison (Pléiade UR 7338, Université Paris XIII), « “Le lendemain, toute l’Espagne des penseurs et des artistes commentait ma danse”. La Argentina à l’Ateneo de Madrid »
Considérée de son vivant comme l’une des plus grandes danseuses de son époque, Antonia Mercé, La Argentina, connaît pourtant ses premiers succès en Europe avant d’être applaudie et reconnue en Espagne. Comme elle l’explique dans un entretien de 1935, son succès date de la soirée organisée à l’Ateneo de Madrid le 16 avril 1915 et durant laquelle elle se produit devant « des intellectuels, des peintres, des écrivains, des poètes, des musiciens ». Le basculement qui s’opère alors est double : pendant que les spectateurs vivent une sorte d’épiphanie de la danse, elle prend elle-même conscience de ce que sera dorénavant son sacerdoce, incarner « l’esprit de la danse espagnole ». Cette communication s’attachera à réunir et à étudier les différents articles publiés à la suite de cette soirée d’intronisation, et qui témoignent de la révélation vécue par les artistes alors présents.
14h50 — Vinciane Trancart (EHIC, Université de Limoges), « “Un coup de dés jamais n’abolira le hasard” : quelques cas de conversions esthétiques au flamenco (XXe-XXIe siècles) »
L’objectif de ce travail est d’analyser le parcours d’artistes flamencos exerçant ou ayant exercé une activité professionnelle en lien direct avec ce genre artistique, alors qu’ils n’ont pas grandi en Andalousie, ni même en Espagne. Est-on face à un processus de conversion esthétique ou d’acculturation ? L’étude se fonde sur une série d’entretiens avec ces artistes ; il conviendra de prendre en compte leur part d’ »illusion biographique » telle qu’elle est présentée par Pierre Bourdieu, dans la mesure où les souvenirs évoqués et les explications données sont le fruit d’une reconstruction, par la mémoire et dans le discours, des expériences vécues. On s’intéressera en priorité aux moments de la découverte du genre gitano-andalou et des décisions qui ont ensuite conduit ces étrangers à consacrer une part essentielle de leur vie à un art qui ne correspondait pas à la culture dans laquelle ils avaient été éduqués. Quelle a été l’importance du hasard au départ, et de quelle manière la liberté a-t-elle été engagée dans ce changement, plus ou moins rapide et radical, né de la rencontre capitale avec de nouvelles références esthétiques ?
15h20 — Discussion
15h40 — Pause café
Modération par Lise Jankovic (ERIAC, Université de Rouen)
16h00 — Isabelle Cabrol (CRIMIC, Sorbonne Université), « “Y me dije: yo soy maga” : la découverte de l’arôme des contes, de la féérie du théâtre et de la modernité du cinéma, ou la naissance d’une vocation artistique, racontées par Concha Méndez, Ana María Matute et Soledad Puértolas »
Dans cette communication, nous étudierons le récit d’un apprentissage esthétique – pendant la petite enfance – et l’écriture nostalgique de la découverte du pouvoir de la création artistique, par trois autrices qui appartiennent à trois générations différentes de la littérature espagnole contemporaine : Concha Méndez (1898-1986), Ana María Matute (1925-2014) et Soledad Puértolas (1947). Nous nous pencherons sur cette expérience capitale et magique, racontée par Concha Méndez dans sa conférence Historia de un teatro (1942), par Ana María Matute dans son roman-testament Paraíso inhabitado (2008), et Soledad Puértolas dans son récit autobiographique Con mi madre (2001). À travers ces trois types de textes, nous verrons comment la lecture des contes européens, la découverte du Théâtre de Marionnettes et des Ballets (russes, notamment), ou de certaines oeuvres cinématographiques, ont marqué d’une empreinte indélébile la trajectoire de celles qui ont été poètes, dramaturges, romancières et autrices de contes, à leur tour, des Avant-gardes artistiques jusqu’à nos jours.
16h25 — Adeline Chainais (ReSO, Université Paul Valéry-Montpellier 3), « Cheminement spirituel et expériences mystiques chez Angélica Liddell »
L’oeuvre de la dramaturge, comédienne, performeuse et metteuse en scène Angélica Liddell (Figueras, 1966) est indissociable de son expérience vitale, notamment du fait de la place centrale qu’occupe l’intime dans sa production écrite et dans son travail scénique. Tandis que ses premières oeuvres traitaient principalement de thématiques sociales et politiques, la spiritualité prend une part de plus en plus importante dans ses créations, notamment à partir du spectacle intitulé Primera carta de San Pablo a los Corintios, créé au théâtre Vidy de Lausanne en 2015, et défini dans le programme du Festival d’Autonme à Paris comme « la lettre d’une mystique revendiquée ». Si la rencontre avec le Dieu chrétien se produit dès l’enfance pour Angélica Liddell, elle redécouvre et réinvente progressivement sa foi au court d’expériences mystiques qui, de spectacle en spectacle, vont lui permettre d’affronter sa souffrance personnelle mais également de redéfinir son rapport au monde, aux autres et à elle-même. Nous nous proposons dans cette communication d’étudier la manière dont ces expériences capitales qui jalonnent son cheminement personnel ont également fait évoluer son processus créatif.
16h50 — Discussion
17h10 — Clôture
TÉLÉCHARGEMENTS