Comment redéfinir la grammaticalisation ?
Horaire : 16h30-18h
Lieu : A 600 Salle de l'ERIAC
Éric Mélac, Institut du Monde Anglophone, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3.
Comment redéfinir la grammaticalisation ?
La grammaticalisation est une notion controversée en grande partie par l’absence de consensus sur les critères qui permettent de distinguer le lexical et le grammatical. Quels que soient les critères adoptés, une vaste zone grise demeure, ce qui a conduit des auteurs comme Newmeyer (2000) et Campbell (2000) à concevoir la grammaticalisation comme une notion épiphénoménale qui recouvre différents changements linguistes. Cependant, il semble également erroné de penser que tout changement linguistique soit associé à un processus de grammaticalisation, car des phénomènes d’évolution sémantique, de hausse fréquentielle ou de réduction peuvent très bien concerner seulement le pôle lexical de la langue. De plus, le principe d’unidirectionnalité (voir notamment Ziegeler 2004) tend à démontrer que le passage du lexical vers le grammatical constitue un changement linguistique particulier, car généralement irréversible.
Après plusieurs décennies de débats, on peut se demander ce qu’il reste de la théorie de la grammaticalisation. Nous tenterons d’aborder cette question en identifiant les différents facteurs qui permettent de décrire les changements linguistiques, tels que la fréquence, la réduction, la décatégorisation, l’évolution sémantique, le repositionnement syntaxique, l’obligatorification et la hiérarchie informative.
Nous verrons ainsi que ces critères permettent d’éclairer différents chemins de changement linguistique et de proposer ainsi une nouvelle taxonomie, qui relègue la grammaticalisation à un seul de ces chemins. La lexicalisation sera définie comme la création d’une nouvelle forme lexicale ou d’un nouvel emploi d’une forme ancienne par des mécanismes de dérivation, de composition et d’emprunt. L’idiomatisation sera la conventionnalisation d’un groupe de mots par un mécanisme de macro-décodage. La constructionnalisation (voir notamment Traugott & Trousdale 2013) correspondra à l’acquisition de nouvelles formes de complémentation. La cooptation (Heine 2013) fera référence à l’émancipation syntaxique d’une unité afin de remplir une fonction détachée du contenu propositionnel : la création d’adverbes de phrase, de parenthétiques et de marqueurs de discours. La grammaticalisation se limitera au passage d’une unité lexicale à une unité grammaticale, c’est-à-dire à une forme qui appartient à une classe fermée, telle qu’une préposition, un auxiliaire ou une conjonction. Enfin, la syntaxalisation sera définie comme l’émergence de règles métasémiotiques, telles que les propriétés des catégories syntaxiques, l’assignation des rôles thématiques par l’ordre des mots ou les phénomènes d’accord.
Nous discuterons du potentiel et des limites de la nouvelle taxonomie de changement linguistique proposée en l’illustrant d’exemples issus de langues aux profils typologiques variés, et nous nous interrogerons sur les motivations cognitives qui pourraient susciter ces changements.
References:
Campbell, L. (2000). What’s wrong with grammaticalization?. Language sciences, 23(2), 113-161.
Heine, B. (2013). On discourse markers: Grammaticalization, pragmaticalization, or something else?. Linguistics, 51(6), 1205-1247.
Traugott, E. C., & Trousdale, G. (2013). Constructionalization and constructional changes (Vol. 6). Oxford University Press.
Newmeyer, F. J. (2000). Deconstructing grammaticalization. Language sciences, 23(2), 187-229.
Ziegeler, D. (2004). Redefining unidirectionality Is there life after modality?. Olga Fischer, Muriel Norde and Harry Perridon, Up and Down the Cline: The Nature of Grammaticalization. Amsterdam: Benjamins, 115-36.