Pouvoir et Culture : Introduction
Auteur : Georges TILLY & Agathe BERLANDL'auteur
Georges Tilly est doctorant en langues et littératures anciennes à l’université de Rouen Normandie.
Agathe Berland est doctorante en littérature américaine à l’université de Rouen Normandie.
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Nous publions quatre communications qui illustrent la relation des intellectuels, des instances spirituelles, mais aussi des artistes et de leurs productions vis-à-vis du pouvoir politique. Ces études ont été présentées lors de la journée des doctorants de l’Ériac du 10 juin 2016, elles portent sur des temps et des aires culturelles variés, exhibent des relations parfois polémiques, parfois empruntes de regret ou soumises aux compromis. Non sans égard pour les axes du nouveau quinquennal, nous avons choisi cette année de nous interroger entre jeunes chercheurs sur les liens que le monde des idées entretient avec l’autorité politique. Ces relations ne sont pas de simples états de fait dont les contingences berceraient la vie des artistes de manière lointaine et extérieure, elles mettent en branle des sentiments qui participent à la création littéraire et sont capables de lever des idéologies nouvelles ou risquent encore de faire condamner en bloc la pensée ou la personnalité de certains.
Les deux premières études conçoivent la culture au sens ancien d’amendement des dons par l’usage des lettres. Elles nous rappellent toutes deux qu’il est un usage orné de la rhétorique épidictique qui ne craint pas, lorsque son contenu est politique, d’obscurcir son message et de restreindre son auditoire – pourvu seulement que l’objet littéraire ainsi créé soit abouti.
Le poète Sannazar (1458-1530) fut l’auteur de l’Arcadia – l’œuvre qui fonda le genre pastoral à l’Âge Classique – et d’un recueil latin Eclogae piscatoriae qui fait l’objet de l’intervention de Gaëtan Lecoindre. La position privilégiée de Sannazar au sein de la cour de Naples le conduisit à suivre le souverain en exil après la chute de la monarchie lors de l’invasion française de 1501. Sa dévotion vis-à-vis du pouvoir royal destitué ainsi que la douleur de l’exil trouvent à s’exprimer dans un recueil d’églogues consacrées aux rivages. Ainsi, le poète qui avait déjà inventé la forme vernaculaire de la bucolique décide, dans ce recueil latin, de déplacer les bergers vers le littoral et d’en faire des pêcheurs. Ce « détournement » permet l’introduction du chant bucolique dans l’histoire et la rupture du principe de concordia qui gouvernait depuis Virgile ce genre littéraire.
Mélissa Richard nous donne un exemple de l’efficacité du langage poétique dans le champ politique : celle qui permit à Jonathan Swift (1667-1745), grâce à sa série de pamphlets The Drapier’s Letters, de modifier et d’adoucir les intentions du législateur britannique en matière de contrôle monétaire sur l’Irlande. Mais le genre de la satire tient autant de l’imprécation magique que du pot-pourri, et parfois l’abondance du langage, l’incontinence du paratexte ou le peu d’à-propos des digressions peut nuire à l’efficacité du message. Mélissa Richard travaille en particulier sur ces points où le digressif semble l’emporter sur l’essentiel dans un genre pourtant lié dès l’origine au caractère performatif du langage. Le Swift du Tale of a Tub, comme Sannazar, semble poursuivre une certaine complétude du langage qui n’a plus d’efficace dans le champ politique.
La relation du pouvoir vers le culturel – entendu cette fois davantage au sens germanique de « mode de vie » – est analysée par Géralde Bideau dans la genèse de l’idée de laïcité au sein du parti démocrate espagnol au XIXe siècle. À l’inverse de la France, où Proudhon et Fourier défendent l’évacuation de l’Église de la sphère publique, les démocrates espagnols n’envisagent pas de priver la société de la morale catholique, ou, du moins, d’une morale et d’une culture universelles qui en soient inspirées. Deux positions s’affrontent : Francesc Pi y Margall, proche du socialisme, défend une redéfinition de la foi et une religion laïque ; Emilio Castelar, de tendance démocrate libérale, pense quant à lui qu’il faut libérer l’Église de son rôle social pour permettre un retour à la vraie foi.
La dernière de nos quatre études est l’histoire d’un mariage de raison fort peu respectable, celui de la philosophie et de la tyrannie. Adinel Bruzan s’est intéressé à l’élection d’Heidegger au poste de recteur de l’université de Fribourg et aux raisons qui ont encouragé son adhésion au parti national-socialiste. Le choix du philosophe n’était pas, comme il le défendit après la guerre, de l’ordre de l’égarement ; sa propre pensée semblait au contraire en cautionner le principe. Aussi peut-on s’inquiéter, en se souvenant de Platon à Syracuse, du penchant des philosophes à se compromettre auprès des tyrans. S’il faut chercher à notre corpus une phrase de conclusion, c’est dans l’intervention de M. Bruzan que nous la trouverons : il existe des prises de position respectables qui peuvent être stupides et, inversement, des choix intelligents qui peuvent être méprisables. Il faut peut-être croire que l’instinct politique et la vertu sociale ne sont pas des facultés du pur raisonnement et que l’on se comporte plus « politiquement » en abandonnant les nécessités abstraites de la seule pensée.
Nous ajoutons à ce corpus l’intervention de Julien Dehut qui eut lieu ce même jour. Sans entrer dans la partie thématique de cette journée des doctorants, cette communication s’inscrit néanmoins dans les intérêts d’un laboratoire dont l’attention est sans cesse croissante vis-à-vis des problématiques issues du numérique. Julien Dehut a été invité, eu égard au sujet de sa thèse, à faire une présentation critique et historique du concept d’humanités numériques. Cette présentation a en outre touché la vocation de ce domaine du savoir tout en mettant en garde contre ses dévoiements.
* Nous tenons à présenter nos remerciements à M. Olmos, directeur du laboratoire, pour son aide et pour la liberté accordée dans la préparation de la journée des doctorants.
Pour citer l'article
Georges TILLY & Agathe BERLAND « Pouvoir et Culture : Introduction »,
Journée des doctorants de l'ERIAC / 1, 2016,
Pouvoir et Culture
© Publications Electroniques de l’ERIAC, 2016.
URL : http://eriac.univ-rouen.fr/pouvoir-et-culture-introduction/