Littérature et événement

Date : 26 et 27 novembre 2015
Horaire : 9h15-18h
Lieu : MDU

Comment rendre compte de l’événement, imprévisible et irreprésentable, et dont l’on ne peut même à proprement parler faire l’expérience ? En quoi l’événement vient-il bouleverser notre rapport au temps ? Comment répondre à l’événement, dans la poursuite d’une liberté de choix, d’action et de pensée ? La littérature au premier chef apparaît comme le lieu, ou le milieu propre à la formulation de réponses à ces questions, qui se font sentir avec une urgence accrue. À l’instar d’autres formes d’art, mais avec le langage qui lui est propre, la littérature tente de rendre présent au lecteur cet irreprésentable qu’est l’événement. Des philosophes, des romanciers, une plasticienne, des universitaires spécialistes de littérature, viendront d’Allemagne, de France et des États-Unis pour animer la réflexion sur les pouvoirs de la littérature et les rôles à jouer par elle, au niveau individuel, social et global. Ancré dans l’actualité, ce colloque est aussi en rapport direct avec le nouveau programme d’agrégation d’anglais, auquel figure le roman Falling Man de Don DeLillo, sur les actes terroristes du 11 septembre.

Le colloque se tiendra en français (journée du jeudi 26) et en anglais (journée du vendredi 27), et les actes du colloque seront mis en ligne sur le site de l’ERIAC dans la revue LMA (Lectures du Monde Anglophone).

Contacts :
Karim Daanoune (kdaanoune@gmail.com)
Hervé Cantero  (hcpcantero@gmail.com)
Anne-Laure Tissut (anne-laure.tissut@univ-rouen.fr )

Conférenciers invités :
Arno Bertina (romancier)
Andi Olsen  (plasticienne)
Lance Olsen  (romancier)
Oliver Rohe  (romancier)
Claude Romano  (philosophe)

Programme 

Maison de l’Université  –  Mont-Saint-Aignan

jeudi 26 novembre  (salle de conférences)  L’Écriture de l’événement

9h15 Ouverture du colloque

Modératrice : Natalie Dépraz
9h30 Claude Romano : « L’événement collectif, à partir de De beaux lendemains de Russell Banks ».
10h30  Isabelle Alfandary : « Le cas de l’écriture littéraire »
11h15 pause

Modérateur : Philippe Fontaine
11h45  Natalie Dépraz : « Surprise et événement »
12h30 déjeuner

Modérateur : Jean-Louis Jeannelle
14h30 – 15h40  Oliver Rohe : “Un Sioux dans Beyrouth”
15h45 – 17h Arno Bertina : “L’espace littéraire est un trou de souris, ou le chas d’une aiguille”
17h15 départ en ville

18h00  Lecture à L’Armitière : Arno Bertina et Oliver Rohe    

vendredi 27 novembre  (salle de conférences) Literatures of Otherness / Littératures de l’altérité

Modératrice : Anne-Laure Tissut
9h30  Andi and Lance Olsen:  “Theories of Forgetting, or There’s No Place Like Time: An Unthinkable Novel in Films You Can Walk Through.”
11h00 pause

Modératrice : Anne-Laure Fortin-Tournès
11h30 Antoine Cazé: “Heureux événement : Happiness et Happenstance du langage chez Lyn Hejinian”
12h15 Anne Battesti: “Pynchon’s ‘Event in the sky’: from Gravity’s Rainbow to Against the Day, and to Bleeding Edge.”
13h00  déjeuner

Modérateur : Karim Daanoune
14h00  Sophie Chapuis : « Weaving webs of narratives : Rick Moody’s fictionalization of the event”
14h45 Sylvie Bauer  “ ‘[Trying] to think of the word for the thing’ : writing through the event in Falling Man
15h30 Aaron Smith  “Language as technology in the novels of Don DeLillo”
16h15 pause

Modératrice : Sophie Chapuis
16h45  Anne-Laure Fortin-Tournès : “Encounter as event in J.M. Coetzee’s  The Childhood of Jesus
17h15  Karim Daanoune : “« no return address »: Witnessing the traumatic event in Don DeLillo’s Falling Man.
17h45 Débat, clôture à 18h00

Affiche PDFAffiche littérature et événement

Programme PDFlitterature et evenementprogramme1

Texte de cadrage : Alors que la photographie, puis le film, sont les moyens privilégiés utilisés pour couvrir l’événement, assortis, dans le cas de la photographie, de commentaires de type reportage, la littérature, quant à elle, semble continuer de susciter la méfiance dans son rapport au réel. La fiction, dans l’imaginaire collectif, reste entachée de fausseté, et si l’on ne peut que reconnaître le rapport d’inspiration qui en fait pour ainsi dire un produit dérivé du réel, les réticences sont nombreuses à concevoir la littérature comme offrant des potentiels de représentation du réel supérieurs à la photographie ou au film, en ce qu’elle ferait apparaître ce qui reste invisible à l’œil nu comme à l’objectif de l’appareil photographique ou de la caméra. Plus inconcevable encore serait le rapport d’inscription de la fiction dans le réel par le biais d’une action sur les modes de représentation propres au lecteur, et, par là, sur les voies selon lesquelles il s’engage dans une interaction avec le monde, comme sur la vision qu’il en a. Pourtant, les historiens continuent de se tourner vers la littérature pour analyser faits et événements ; les psychanalystes, de lire le texte littéraire comme l’expression d’un regard visionnaire, précieux dans la poursuite de leur exploration de l’être humain ; les philosophes, enfin, de montrer en quoi et comment l’art en général et l’art littéraire en particulier sont « procédure[s] de vérité » (Badiou, Petit Manuel d’inesthétique, 1998, p.21). Quand il s’agit de confronter l’innommable et l’irreprésentable, du traumatisme, de l’abject, de l’événement, enfin du radicalement autre, seule la création artistique, en ouvrant les chemins jamais empruntés de ses langages inédits, peut faire face à l’irreprésentable et tenter d’en relever le défi : la fiction rend possible la monstration de l’événement à l’endroit même de ses résistances et de ce qui le constitue en événement, à savoir, ses caractères imprévisible et indicible. Étant « sa cause en lui-même » (Romano, L’Événement et le monde, 59), et tout en excès – excès de phénoménalité ou excès traumatique -, l’événement n’est pas même expérimentable. Aussi l’événement échappe-t-il au récit historique, qui n’en prend en compte que les conséquences : « Ce que l’histoire saisit de l’événement, c’est son effectuation dans des états de choses, mais l’événement dans son devenir échappe à l’histoire. » (Deleuze, Pourparlers, 231). La littérature, avec ses moyens propres, la matérialité et la temporalité d’un langage taillé dans la langue et qui l’étend jusqu’à ses confins, peut tenter d’offrir au lecteur l’expérience du surgissement événementiel.

On ne considérera pas tant la littérature dite engagée que les stratégies propres à la littérature, par lesquelles, à la fois, elle tente d’offrir au lecteur l’expérience de l’événement qu’elle rend présent pour lui, et, du même geste, s’élève contre les systèmes et le totalitarisme, par le biais d’un « contre-récit », selon la formule de l’écrivain américain Don DeLillo : « it is left to us to create the counter-narrative » (« In the Ruins of the Future », 34). En faisant jouer la fluidité et l’ouverture de ses formes et de ses structures, la littérature trompe l’irréversible, et toujours rappelle le lecteur à la responsabilité qu’il porte du sens et de la définition de l’humain. Les formes de résistance à la clôture retiendront notre attention : ambiguïté, allusion, euphémisme et litote, ellipse, silence et non-dit, et, plus largement, les diverses modalités discursives du détour (métaphore, symbole, image) et du suspens, rythmique, logique ou sémantique. La trame rationnelle du discours se trouvant mise en échec, la matérialité du langage prend le relais pour susciter la présence de ce qui échappe à la représentation. Sons, texture, rythme, brisure, latence, report et irruption anachronique seront au nombre des phénomènes à considérer. De ces traits propres au langage littéraire et qui font la « singularité » de l’œuvre, dans la terminologie de Derek Attridge, les effets ne sont guère prévisibles, du moins pas en totalité. La « signifiance », selon Barthes, qui ne relève pas de l’intention de l’auteur, continue d’échapper au lecteur, qui l’éprouve sans pouvoir jamais totalement la cerner ni l’analyser. Tandis que l’événement est excès de part en part, il semble se dire dans une réserve du texte, qui désigne tout à la fois le mouvement de retrait du texte échappant à son lecteur, et les potentialités de sens promises par ce retrait. Peut-être est-ce en cette dynamique, suscitant l’engagement du lecteur, que la littérature offre des modèles de résistance aux formes asservissantes du totalitarisme et des systèmes en  général. Dans le cas des « romanciers pluralistes » étudiés par Vincent Message, qui « [P]our rendre compte de la complexité du monde qui les entoure, […] cherchent à faire fonctionner ensemble des possibles esthétiques qui ne sont compatibles que jusqu’à un certain point » (34), ils offrent dans l’œuvre des modèles de cohabitation, et, mieux, de mise en relation entre les membres de sociétés pluralistes tant par leur disparités économiques et sociales que leur qualité multiculturelle. Plus que jamais, le littéraire croise le politique, dans l’esthétique.

On réservera le plein déploiement des questions de réception du texte, comme de qualité événementielle de l’œuvre, à des manifestations ultérieures, sans toutefois les exclure du présent débat. On ne s’interdira pas non plus d’étendre la réflexion à la photographie dans son rapport à l’événement, en contrepoint à la réflexion sur l’objet littéraire, ne serait-ce que pour s’aider, dans la théorisation du rapport à l’irreprésentable, des remarquables études produites sur l’effet de l’image. L’œuvre de l’historien de l’art Georges Didi-Huberman, par exemple, pourra nourrir le débat, notamment quant à la dimension temporelle de l’événement et à son « anachronisme » foncier. Sans être directement au cœur des travaux, l’image et la réflexion sur l’image joueront le rôle de l’autre du texte, avec lequel entamer un dialogue fécond.