Les deux significations de la perfection humaine selon Descartes
Interventions de la journée d’étude
Perfection et infini. Philosophie et mathématiques dans la pensée cartésienne
organisé par Emmanuel Faye (Université de Rouen Normandie – ERIAC), le 11 octobre 2022.
- Emmanuel Faye (Université de Rouen Normandie, ERIAC), « Descartes, les humanistes de la Renaissance et la summa hominis perfectio »
Dans cette étude, je distingue deux significations complémentaires que Descartes reconnaît à la praecipua ou summa hominis perfectio. Il y a d’une part une confiance remarquable dans les capacités naturelles de l’esprit humain et la conviction que nos facultés étant toutes bonnes de leur nature, ce qui importe est d’en faire le meilleur usage, et il y a d’autre part un dessein général d’« élever notre nature à son plus haut degré de perfection ». Pour autant, Descartes refuse, à la suite de Montaigne, la conception ontologique de la perfectio hominis qui, à la manière d’un Raymond Sebond, ferait de l’être humain la créature la plus élevée dans l’échelle des êtres. La principale perfection de l’homme se dit pour Descartes en regard de perfections moins considérables qui sont en nous : comparaison interne à l’étude de l’homme, et qui ne s’exerce pas à l’égard des autres créatures.
- Livia Profeti (Université de Rouen Normandie, ERIAC), « Descartes et l’immatérialité de l’infini : la querelle avec Henry More ». Répondant : Gauthier Abiven
Au XVIIe siècle, la centralité de la pensée humaine proposée par Descartes s’est accompagnée de l’affirmation de la cosmologie nouvelle, qui renversait la représentation grecque et scolastique du monde « clos » pour la remplacer par celle, moderne, d’un univers sans bornes. Dans la théorie cartésienne de la connaissance, l’infini est la première idée du moi et la liberté, en tant que « suprême perfection » de l’individu, s’appuie sur cette idée « innée ». Mais la notion cartésienne de l’infini est métaphysique et ne concerne pas l’univers matériel, entendu plutôt par Descartes comme « indéfini ». En fait, dans sa correspondance avec l’anglais Henry More, il refuse nettement d’accorder l’étendue au Dieu immatériel en tant qu’infini en acte, parce qu’il ne la reconnaît qu’à la matière.
Étant donné qu’une telle revendication de la séparation entre l’immatérialité de l’infini absolu et la matérialité de l’univers est une conséquence de la même séparation cartésienne entre la res cogitans et la res extensa, l’intervention vise à un double questionnement : d’une part, il s’agit de s’interroger sur les raisons de l’importance de la dimension immatérielle dans la pensée de Descartes ; d’autre part, on entend mettre en évidence le fait que l’importance de cette dimension a été perdue de vue avec l’émergence de la conception moderne du sujet, dans le contexte de l’évolution de la pensée scientifique qui a suivi la révolution copernicienne.
- Jaehoon Lee (Université nationale de Changwon, Corée du Sud), « Descartes sur la perfection ». Répondante : Aminata Soukhouna
Descartes emploie la notion de perfection dans divers contextes mais n’en donne pas une définition explicite. Dans cette conférence, je présenterai une notion unifiée de la perfection chez Descartes et montrerai qu’il s’agit d’une notion directrice de sa philosophie. La perfection est une notion centrale, que l’on trouve au fondement de la métaphysique, de la théorie de la connaissance, de la physiologie, de l’éthique, et de la conception de l’univers. Je préciserai que, dans la philosophie de Descartes, la perfection signifie autosuffisance et indépendance, et que le degré de perfection d’une faculté est déterminé par celui de l’indépendance et l’autosuffisance de son opération. Je montrerai également que chez Descartes,le bon usage de la volonté n’est pas la seule perfection de l’homme mais simplement « la plus grande et principale perfection ». Dans son dessein philosophique, le Projet d’une Science universelle qui puisse élever notre nature à son plus haut degré de perfection (1636), il s’agit en effet de toutes les perfections qui appartiennent à notre nature, non de celle de la volonté seule. J’expliquerai aussi la raison pour laquelle Descartes ne considère pas l’erreur ou le défaut comme une preuve de l’imperfection de l’homme.
- Olivia Chevalier (Institut Mines Telecom), « Vérité mathématique et infini » — Intervention à l’occasion de la parution de Descartes et ses mathématiques (Éditions Garnier, septembre 2022).
Le rapport à l’infini de la philosophie de Descartes, mathématiques et physique comprises, n’est pas aisé à déterminer. En effet, ce que je peux formuler de vrai au sujet de cette idée d’infini dépend de ce à quoi il renvoie. En premier lieu à un être, Dieu, dont (nous en faisons l’hypothèse) la perfection dérive de l’infinité. En second lieu, à l’infini quantitatif, dont l’indétermination entraîne l’impossibilité pour les mathématiques (officielles) de s’en saisir, puisque la recevabilité des énoncés mathématiques repose sur la détermination de rapports exacts.
Nous exposerons les deux points suivants : (i) les propriétés d’exactitude et de certitude qui caractérisent le raisonnement et la vérité chez Descartes supposent l’infini divin tout en interdisant le traitement mathématique de l’infini (au sens quantitatif), ce qui permettrait d’expliquer (ii) sa pratique mathématique non-officielle qui propose des solutions mobilisant des outils relevant de l’infini (infinitésimaux, passage à la limite, notamment).