Du texte à l’image et de l’image au texte : théories, enjeux, tensions. L’exemple de l’Antiquité gréco-romaine dans la peinture anglaise du 19e siècle

Date : mardi 11 décembre
Horaire : de 16h30 à 18h30
Lieu : salle du CETAS (A506)

Séance du séminaire « Du texte à l’image, de l’image au texte : Histoire, Théories et Pratiques » (http://eriac.univ-rouen.fr/seminaire-texte-image/)

Intervenant : Anne-Florence Gillard-Estrada (Université de Rouen)

Après les tableaux arcadiens inspirés du Lorrain peints par Turner au début du siècle, et malgré la veine du nu « osé » créée par William Etty, la peinture britannique, jusqu’au milieu du XIXe siècle, ne semble pas donner la place belle aux sujets antiques. L’époque voit ainsi l’avènement de la « peinture de genre » et du « modern subject ». La rébellion préraphaélite des années 1848-1855, quant à elle, est marquée par une inspiration néo-gothique et médiévisante. Or, on assiste à partir des années 1860 à un renouveau des sujets « romains » ou « grecs » en peinture, dans les œuvres d’un mouvement défini par les historiens de l’art des années 1980-1990 comme « néoclassique » ou « olympien », et que les spécialistes de la période incluent à présent dans le « Mouvement Esthétique », ou de « l’Art pour l’Art ». Des peintres comme Leighton, Watts, Moore ou Alma-Tadema, s’inspirent de la culture antique, et surtout de ses formes artistiques (la statuaire antique, la frise, les drapés, etc.), et créent ainsi un véritable engouement pour l’Antiquité.

Cette séance de séminaire se propose tout d’abord d’explorer les problèmes théoriques que  pose la question de l’Antiquité, et ce, dans une perspective historique. On passera ainsi en en revue quelques notions théoriques (hiérarchie des genres, peinture d’histoire, etc.) et catégories esthétiques (néoclassicisme, genre, etc.) et l’on s’intéressera aux peintres « néo-grecs » français afin de situer cette peinture dans un contexte historique et esthétique. On explorera les modalités particulières de la relation entre les textes antiques et les tableaux qui semblent s’en inspirer, alors que, depuis déjà près de deux siècles, l’on assiste à un bouleversement du statut du texte littéraire classique. Dans cette peinture, l’utilisation des textes est plutôt fondée en effet sur les correspondances ou sur l’inspiration romantique, et l’image acquiert une autonomie et une valeur qui lui sont propres. On ne peut plus parler de peinture d’histoire face à ces œuvres marquées, d’une part, par les théories de l’Art pour l’Art qui mettent l’accent sur la synesthésie, l’éclectisme et le primat de la forme en soi ; et, d’autre part, par le symbolisme très personnel des transfuges du préraphaélisme (Rossetti, Burne-Jones), qui reprennent les mythes gréco-romains pour représenter des icônes féminines fascinantes. Par ailleurs, on montrera comment les découvertes archéologiques, qui au XIXe siècle s’accentuent et jouent un rôle important dans la culture à la fois de l’élite et des masses, ont modifié le rapport au texte classique : c’est l’avènement des objets et d’une culture domestique jusqu’alors négligés dans le canon littéraire.

On s’intéressera enfin aux enjeux que pose ce sujet pour la recherche actuelle, en s’appuyant principalement sur les œuvres picturales et en évoquant la réception critique de celles-ci. Les articles de critique d’art publiés dans les périodiques ou dans les écrits esthétiques de l’époque – à leur manière transpositions d’images en textes – reflètent eux aussi les questions que posait cette réutilisation de l’Antiquité dans un contexte à la fois esthétique et intellectuel, marqué notamment par les bouleversements épistémologiques récents apportés par la psychologie et l’anthropologie. L’Antiquité, à travers certaines de ses modalités – le retour du nu, la fascination du dionysiaque, etc. – semble ainsi opérer une sorte de « retour du refoulé victorien » et pour justifier cette thèse, on évoquera certains outils de la critique et de la théorie contemporaines utilisés pour lire ces œuvres picturales et leur réception critique.

Anne-Florence GILLARD-ESTRADA est Maître de Conférences à l’Université de Rouen où elle enseigne la littérature, l’esthétique et la peinture britanniques de la seconde moitié du XIXe siècle. Ses recherches portent sur l’Hellénisme et la Grèce, notamment dans l’oeuvre d’écrivains comme Walter Pater ou Oscar Wilde, et elle prépare actuellement un ouvrage sur le traitement de l’Antiquité dans les œuvres picturales du « Mouvement Esthétique » et dans leur réception critique.

Fiche ERIAC : http://eriac.univ-rouen.fr/author/anne-gillard/