Appel à communications « Centre(s), marges, relégation aux XVIIe et XVIIIe siècles dans les îles britanniques, en Amérique du Nord et en France »

17e Journées Doctorant.e.s et Jeunes Chercheur.euse.s de la Société d’Études Anglo-Américaines des XVIIe et XVIIIe siècles (SEAA 17-18) et de la Société Française d’Étude du Dix-huitième siècle (SFEDS) avec le soutien de la Société d’Étude du XVIIe Siècle, et en partenariat et avec l’appui de   l’Équipe de Recherche Interdisciplinaire sur les Aires Culturelles (ERIAC), du Centre d’Études et de Recherche Éditer/Interpréter (CÉRÉdI), et du Groupe de Recherche d’Histoire (GRHis)

ARGUMENTAIRE

Du minutieux Atlas de l’Écosse (1654) de Blaeu, à l’ample Monde décrit (1715) de Moll, les XVIIe et XVIIIe siècles se cherchent des repères en redessinant leurs contours épistémologiques. Ce colloque souhaite explorer la façon dont cette époque réorganise les espaces propres et figurés à travers les concepts de centre, de marge et de relégation.

Le centre, d’abord, est un point de convergence et de référence qui, par conséquent, occupe une position de force dans les sociétés. L’entité centrale exige une certaine homogénéité, ou du moins une cohérence de ce qui la constitue, en posant elle-même les frontières qui la délimitent. Ainsi, l’instauration d’un centre remise dans un espace secondaire ce qui ne le constitue pas; pour autant, cet espace reste influencé par l’autorité centrale. Un centre impose son propre système de gravitation, et donc de domination. En France, le régime absolutiste, à son apogée au XVIIesiècle, cristallise tout pouvoir autour de la figure du Roi Soleil. Dès le XVIe siècle, la présence anglaise en Irlande provoque l’effondrement de la pluralité des royaumes dont l’île était émaillée pour mieux asseoir la souveraineté unique de la Couronne. De même, la relocalisation de la cour de Jacques VI/Ier en 1603 déplace de force le cœur névralgique du gouvernement écossais vers l’Angleterre. Il importe de s’interroger sur les stratégies des acteurs qui constituent ce centre, ainsi que sur celles de ceux qui s’y confrontent. La centralisation du pouvoir royal requiert une maîtrise du territoire et un contrôle des sujets. Cela passe par l’instauration de lois, de codes et de repères partagés, qu’ils soient sociaux, culturels ou religieux. Les comédies de Molière, par exemple, ont été essentielles à la construction de l’image de Louis XIV ainsi que du modèle politique et social voulu par celui-ci. En Grande-Bretagne, un siècle plus tard, le Dress Act de 1746 interdit le port du kilt et vise ainsi à mettre fin aux particularismes culturels des clans écossais, décimés à la bataille de Culloden.

Les marges sont intrinsèquement caractérisées par leur relation au centre. Espace négatif par nature, la marge est ce qui n’est pas au centre, ce qui est excentré, et donc souvent considéré comme étant de valeur moindre. La marge se situe en dehors, au-delà des limites de l’en-dedans définies par le centre. Protéiforme et polysémique, la marge est pensée ici dans ses différents versants, qu’ils soient géographique, politique, fictionnel, symbolique ou encore épistémologique. Sur les plans géographique et politique, les mouvements de centralisation des XVIIe et XVIIIe siècles transforment une multitude de territoires en espaces marginaux : l’Irlande et l’Écosse par rapport à l’Angleterre, la province par rapport à Paris, les colonies et comptoirs par rapport aux métropoles anglaise et française. La marge produit un agencement spatial inédit, ce qu’on peut également constater sur la page de l’objet livre. Les femmes de cette époque, notamment, utilisent souvent les marges comme un terrain d’annotations privilégié, en particulier dans l’intimité de leurs livres d’heures. Ces marginalia se lisent alors comme une sorte de palimpseste du texte officiel. Dans la fiction romanesque ou au théâtre, les personnages tels que les fous, les étrangers, les gouvernantes ou encore les domestiques sont autant de figures souvent reléguées dans les marges, et dont le statut peut avoir une valeur polémique et critique. Les XVIIe et XVIIIe siècles sont aussi hantés par la silhouette dangereuse du dissident : qu’il soit covenantaire, huguenot ou puritain, il choisit la marge par désaccord avec l’orthodoxie. La personne marginale peut même devenir monstrueuse, comme en témoigne le sort réservé aux sorcières ou aux criminels. Par leur aspect décentré, les marges semblent ainsi se situer nécessairement dans l’oblique et le déséquilibre, voire la déviance, comme si le centre générait les conditions de sa propre contestation.

La relégation se définit comme une mise à l’écart, une exclusion du noyau principal, et s’entend plus précisément comme un mouvement de l’espace central vers l’espace marginal. Perçue depuis le centre, la relégation est un processus de déchéance, puisque tout ce qui est extérieur à ce centre semble lui être inférieur. À l’époque de la Rome antique, la relégation était une condamnation législative à l’exil ; l’acception du terme est donc d’abord à la fois légale et spatiale. Dès 1645, nombre de royalistes fuient l’Angleterre et trouvent refuge sur le continent ; ce sera au tour des républicains d’y trouver une terre d’exil à la Restauration en 1660.​​ Les mouvements de relégation reflètent de cette façon l’instabilité des centres qui se désagrègent et se reconstituent. Cependant, bien que le lieu de la relégation soit vécu comme un échec, il peut aussi offrir une certaine sécurité et donc certaines libertés, comme dans le cas du Refuge protestant. De même, Voltaire, exilé pendant de nombreuses années hors de France, trouve dans ces espaces « secondaires » matière à faire mûrir sa pensée. Certaines religieuses bénédictines anglaises, quant à elles, fondent leurs propres couvents sur le continent dès la fin du XVIe siècle. Par la relégation s’articule potentiellement un imaginaire spatial associé à la liberté d’expression et de création. Relégués au-delà du monde connu, les puritains parviennent, aux cours des XVIIe et XVIIIe siècles, à ériger la marge qu’ils occupent en tant que nouveau centre. Les colonies américaines, considérées d’abord comme devant être au service de la métropole, s’autonomisent progressivement jusqu’à rejeter un contrôle trop strict de Westminster. Le centre anglais oscille alors entre relégation et régulation afin de maintenir les colonies dans leur statut marginal. Pourtant, selon Thomas Jefferson dans A Summary View (1774), si les colonies se rallient à la Couronne, c’est par choix. La logique impériale est ici inversée : ce sont les colonies qui créent l’Empire, et non le contraire. La révolution américaine finit de reléguer l’autorité anglaise au second plan. La notion de relégation permet d’examiner les frontières entre le centre et ses marges comme étant mouvantes et non figées.

De nombreuses impulsions dans l’historiographie récente poussent à un recentrement vers les espaces de marge et de relégation, questionnant ainsi les normes des canons littéraires et historiques. Les Journées des Doctorant.e.s et Jeunes Chercheur.euses 2025 invitent donc à repenser, par le biais de la relégation, le centre depuis la marge, et pas seulement contre celle-ci. Il s’agira ainsi d’envisager les questions de spatialité et de circulation, qui lient les espaces géographiques, culturels et symboliques. Le centre peut-il se définir sans les marges ? Quels instruments le centre utilise-il pour se donner l’autorité de reléguer ? Quel regard l’espace de relégation offre-t-il sur le centre ? La contestation est-elle inhérente à la marge ?

Le colloque invite à réfléchir à ces questions. Les interventions peuvent aussi s’inscrire, à titre indicatif et non exhaustif, dans les thèmes suivants :

CONFLIT ET NÉGOCIATION ENTRE CENTRE ET MARGES

  • Centralisation et autorité :pouvoir central ; politiques de contrôle ; homogénéisation des cultures politiques ;
  • Censure et exil : mécanismes de répression, formes d’exclusion, exils forcés ou volontaires ;
  • Espaces de relégation situés au cœur même de la société (prisons, lieux de subversion) ;
  • Résistance et résilience des marges : contre-pouvoirs, rébellions, stratégies de contournement ou de transgression ;
  • Dissidence et recusancy : pratiques de contestation, figures de l’opposition (intellectuelle, artistique, politique, religieuse …), radicalisation ;
  • Opposition relégation / intégration : marginalisation, assimilation ;
  • Relégation et remise au centre historiographique des « minorités » sociales, politiques et religieuses.

RAPPORT AUX TERRITOIRES ET AUX HIÉRARCHIES GÉOPOLITIQUES

  • Paradoxe expansion / centralisation :  tension entre la volonté d’étendre l’influence d’un centre et la nécessité de maintenir un contrôle centralisé ;
  • Compétition des centres (empires français/anglais) : rivalités, enjeux de suprématie culturelle et linguistique ;
  • Empires et colonies (Amérique du Nord, Caraïbe, politiques coloniales) : domination, organisation des colonies, résistances, émancipations
  • Territoires et cartographie :construction de l’imaginaire géopolitique ; frontières, zones de contact, redécoupage des espaces.

MARGES ET CHAMPS CULTURELS / LITTÉRAIRES

  • Canons et genres littéraires (genres majeurs, genres mineurs) :hiérarchie des genres, marginalisation de certains formats littéraires, évolution du regard critique ;
  • Puissance culturelle de la marge :limites du discours scientifique ou littéraire, pratiques en marge des institutions savantes ;
  • Rôle des personnages secondaires (théâtre, roman) :place de la figure marginale dans l’intrigue, ressorts narratifs et dramatiques ; portée polémique, épistémologique et idéologique ;
  • Altérité, imaginaires fantasmés des marges : construction de l’Autre dans la fiction, stéréotypes et exotisation ;
  • Culture matérielle du livre : supports, circulation des œuvres, modes de publication et de diffusion.

FORMAT DE SOUMISSION ET DATES IMPORTANTES

Les propositions de communication, en français ou en anglais, d’une longueur de 300 mots environ, ainsi qu’une courte bio-bibliographie, doivent être adressées à l’adresse suivante : jdjc.rouen@gmail.com, pour le 30 mars.  Les notifications d’acceptation seront envoyées aux participants autour du 25 avril. Les Journées Doctorant.e.s et Jeunes Chercheur.euse.s se dérouleront les 25 et 26 septembre 2025 à l’université de Rouen Normandie. La durée des interventions ne devra pas excéder 20 minutes. Une publication des actes du colloque dans le carnet de recherche des doctorant.es de la SEAA 17-18 est prévue.

COMITÉ D’ORGANISATION

COMITÉ SCIENTIFIQUE