Les archives sonores de la poésie : Production, conservation, utilisation
Recording in Progress : Producing, Preserving and Using Recorded Poetry
Colloque international organisé par l’université Paris-Diderot (LARCA—UMR 8225) et l’université Paris-Sorbonne (CELLF—UMR 8599), avec le concours de l’école doctorale III de Paris-Sorbonne, du réseau Usage des Patrimoines Numérisés (UDPN), de l’Institut Universitaire de France (IUF), et l’Institut des Amériques, (IdA), et en partenariat avec l’Institut National d’Audiovisuel (INA) et Double Change. Organisation: Abigail Lang (Paris- Diderot), Michel Murat (Paris-Sorbonne), Céline Pardo (Paris-Sorbonne).
jeudi 24 et vendredi 25 novembre 2016
Maison de la Recherche de Paris-Sorbonne
28 rue Serpente, Paris VI, salle 35
Si la poésie n’a jamais cessé d’être dite, la possibilité d’enregistrer et de réentendre les lectures et récitations de poèmes, en particulier celles des auteurs, de fixer et de transmettre l’éphémère de leur voix vive, constitue une mutation médiatique majeure pour le genre poétique : les poètes découvrent d’abord l’étrangeté de leur propre voix, travaillent pour certains à des poèmes conçus pour ces nouveaux supports ; on entend avec stupeur et émotion la voix d’un poète, on découvre le poème autrement que sur la page ; se développent de nouveaux modes d’édition de la poésie (on l’écoute plus qu’on ne la lit, un marché se constitue, etc.). La vogue des lectures publiques et plus récemment la révolution numérique n’ont fait que renforcer ces tendances, tout en faisant aujourd’hui du poème oralisé (et du poème sonore) un objet souvent transmédiatique.
Le corpus dont nous disposons aujourd’hui, depuis plus de cent ans que les enregistrements existent, est donc gigantesque et très hétérogène, que ce soit en termes de supports (mécaniques, magnétiques, optiques, numériques) ou de sources (émissions de radio ou de télévision, enregistrements phonographiques, lectures scéniques, lectures privées, etc.). Or il ne fait encore l’objet, même partiellement, que de rares études, du moins en France. Qui répondra aux appels des poètes et hommes de radio Jean Tardieu ou Claude Royet-Journoud, qui invitaient les chercheurs, l’un à analyser les « lignes de la voix » des écrivains, l’autre à réaliser « des études sur la façon dont lisent les écrivains » ? Par ailleurs, en quoi les enregistrement sonores changent-ils notre conception de ce qu’est un poème ? De même que la critique génétique a rappelé qu’il existait de multiples états d’un texte (brouillons, publication en revue, éditions aux formats variés), les archives sonores offrent une autre réalisation (et parfois plusieurs) d’un « même » poème, et mettent les chercheurs au défi d’inventer l’approche et l’outillage critiques adéquats pour les commenter.
Aux États-Unis, où la renaissance de la lecture publique a eu lieu dès 1955, la création d’archives de poésie en ligne (avec Pennsound et UbuWeb notamment) a changé les habitudes de recherche, d’enseignement et la façon dont la poésie est abordée. Fondé en 2003 au sein de University of Pennsylvania, Pennsound propose ainsi plus de 40000 fichiers audio et 1000 fichiers vidéo à consulter ou à télécharger gratuitement, et comptabilise plus de 6 millions de téléchargements annuels. Créé par (et pour) des poètes, des chercheurs et des enseignants, le site fournit également l’information nécessaire à la contextualisation et à la compréhension de ces archives. Né de l’initiative d’un collectionneur passionné, le site UbuWeb rassemble quant à lui un ensemble impressionnant d’archives sonores, cinématographiques et écrites des avant-gardes du XXe siècle ; sous l’effet de la numérisation, la poésie s’y trouve d’emblée en dialogue avec les autres disciplines artistiques. En 2010, la Bibliothèque du Congrès et le Council on Library and Information Resources ont publié un rapport contenant les conclusions d’une très vaste enquête consacrée aux archives sonores. Intitulé « Conservation des enregistrements sonores aux États-Unis : un héritage national en danger à l’ère du numérique », ce rapport met en lumière un cercle vicieux qui retarde gravement la préservation des archives : moins les collections sont recensées et accessibles, moins les chercheurs s’y aventurent ; moins les collections sont consultées, moins les conservateurs sont susceptibles d’obtenir des subventions pour les 2 préserver et les mettre à disposition. En 2015, après une enquête destinée à inventorier les fonds d’archives sonores menacés en Grande-Bretagne (UK Sound Directory), la British Library a lancé le programme Save our Sounds pour préserver ces fonds et les mettre à disposition en ligne. Lancé en 2014, le programme Europeana Sounds vise à rendre un million de documents sonores accessibles d’ici 2017 sur Europeana, la bibliothèque numérique européenne.
L’une des ambitions de ce colloque est de précipiter une prise de conscience de la part des institutions françaises quant à la nécessité de préserver et de valoriser ce patrimoine oral de poésie, et d’encourager à un travail d’identification et de recension des collections, de dépouillement et de numérisation. Le colloque voudrait aussi être l’occasion de réfléchir de façon pratique à ce chantier. Car nous sommes convaincus que les archives sonores et audio-visuelles ont beaucoup à apporter à la connaissance et à la transmission de la poésie. Nous invitons donc les participants à s’interroger sur les modes de production, de conservation ainsi que sur les différentes utilisations des archives sonores et audio-visuelles de poésie, à travers des études de cas pris dans la poésie francophone et anglophone. Ces études de cas pourront porter sur des poètes, mais également sur des collections : archives de la Parole, archives de la Phonothèque nationale, archives de la radio-télévision publique, archives privées, archives émanant d’autres institutions comme les musées, théâtres, associations, etc.
Quelques pistes de réflexion supplémentaires :
– Qu’est-ce qu’une archive de poésie ? Comment passe-t-on de la trace sonore/filmique à l’archive (question de la patrimonialisation) ?
– Quelle place donner aux archives ? Comment juger si elles relèvent de l’oeuvre ou du document ? Toutes les archives se valent-elles ? Y a-t-il lieu d’opérer un tri, une hiérarchisation des traces à archiver ?
– Quelle place les poètes eux-mêmes accordent-ils à l’archive sonore ou audiovisuelle ?
– Quels sont les effets rétroactifs des enregistrements sur les poètes ? Sur leur façon de lire en public ou de composer ?
– Quelle différence y a-t-il entre une archive radiophonique et l’enregistrement d’une lecture publique ?
– Quelle différence y a-t-il entre une archive sonore et une archive audiovisuelle ?
– Quel usage faire des archives sonores dans la recherche ? Que nous apprend l’écoute du poète lisant son poème ? Comment décrire une voix, analyser une diction ? Comment comparer divers enregistrements d’un même poème ? Que peuvent nous apprendre des logiciels de reconnaissance sonore (cf. le projet High Performance Sound Technologies for Access and Scholarship (HiPSTA)) ?
– Quels sont les usages pédagogiques (possibles, effectifs…) des archives sonores et audio-visuelles ?
– Quels sont les usages créatifs des archives sonores et audio-visuelles de poésie ? (art du recyclage, montage radiophonique, reprise (cover), sampling…) Et ceux-ci posent-t-ils des questions de droit ?
– Quelle est la place de l’archive sonore dans l’édition de poésie (disques, livres-disques ; livres augmentés…) ?
– Quelles sont les conséquences de la mise en ligne d’archives sonores de poésie pour le livre et l’édition en général ? L’accès gratuit à des ressources sonores en ligne se fait-il au détriment du livre ou reconduit-il l’internaute au livre ?
Programme PDF : les-archives-sonores-de-la-poesie-programme
Résumés des interventions PDF : les-archives-sonores-de-la-poesie-resumes-abstracts