Intersubjectivité et système
Horaire : 16h30-18h00
Lieu : UFR LSH | Bât. 3 | Salle A600 | Mont-Saint-Aignan
Daniel ROULLAND, professeur émérite, Université Rennes 2 – EA 1796 A.C.E.
Avec une surprenante régularité, l’interaction sociale a toujours été marginalisée en linguistique au profit du λόγος et de la représentation. Mais avec le structuralisme en perspective, la valorisation du « trésor social » dans le cadre moins universaliste de la culture a eu pour effet d’attirer l’attention sur les fonctions du langage, ou de braquer les projecteurs sur la phénoménologie des actes et des expériences directement vécues. Nombre de marques à caractère subjectif ou social (personnes, genres, niveaux de politesse associés, etc) sont de fait inscrites dans les structures linguistiques, et incitent à valoriser les actions génératrices de normes plutôt que les grands systèmes abstraits. La fréquence grandissante du préfixe « inter- » (interactionnisme, intersubjectivité, interlocution) dans les publications témoigne ainsi de l’importance actuelle des dimensions dialogique et polyphonique, et plus généralement de la « distribution » des états et processus langagiers entre organisme et environnement. Cependant, comme le constatait Hjelmslev, si on regarde le rapport qu’établit l’usage entre l’acte et la norme, on risque de perdre de vue la langue et le « schéma ». Il est donc prudent de s’attaquer à l’articulation réciproque entre l’usage communicationnel et le système plutôt que de privilégier l’un ou l’autre aspect du phénomène. Plusieurs voies ont été ouvertes, dont celle de la grammaticalisation historique d’E. C. Traugott, avec la subjectification puis l’intersubjectification des structures. L’énonciation, aussi, a pu montrer à la suite de Benveniste que l’énonciateur se construit en « ego » dans le moment et le lieu où il dit « je », mais que ce n’est légitime que dans une relation privilégiée au co-énonciateur, au « tu » alternatif et réversible. On peut pousser le raisonnement à son terme avec la théorie des systèmes, pour qui le système est une organisation d’éléments qui naît de sa propre interaction avec son environnement : partout où il y a un système, on observe une communication et vice versa, ce qui accorde à la « socialité » au sens large une place désormais centrale. Les morphèmes, phonèmes et constructions forment des structures, mais seuls les acteurs effectifs de la communication forment système. Le langage devient alors à la fois le résultat de l’interaction et le milieu dans lequel elle se produit[1]. C. Douay et moi-même[2] avons proposé dans ce cadre une théorie de la Relation Interlocutive selon laquelle l’interaction communicationnelle est inscrite dans la langue elle-même, à tous les niveaux, des plus concrets comme les formes de politesse ou les formes allocutives, aux plus abstraits et « systémiques ». Ce séminaire visera à illustrer ce point de vue systémique, et à réfléchir à la modélisation en linguistique. Il sera l’occasion de discussions autour de cas d’usage principalement en anglais et en français.
[1] Rieu, Alain-Marc (1991) « De la structure au système dans la théorie sociale : Système naturel, système artificiel et système social », in Frank Tinland, Systèmes naturels/systèmes artificiels, Champ Vallon, 212-225.
[2] Douay, C. & Roulland, D. (2014) Théorie de la Relation Interlocutive. Sens, signe, réplication, Limoges, Lambert-Lucas. + UP 2019.