La littérature en réseaux
Journée d’étude organisée par les doctorants de l’Équipe de Recherche Interdisciplinaire sur les Aires Culturelles (ERIAC – EA 4705), le 3 octobre 2019 à la Maison de l’Université de Mont-Saint-Aignan.
Que l’on se réfère à l’émergence de la notion d’intertextualité dans les années 1960 ou aux nombreuses variations autour de la notion d’influence qui l’inspirèrent ou en découlèrent, il est devenu commun d’admettre que l’objet littéraire est moins un îlot isolé qu’un archipel complexe (Bourriaud). Si le XXe et XXIe siècles ont approfondi le champ de l’acte de lire et continuent de sonder les pratiques d’écriture, il convient néanmoins de rappeler que cette conception de la littérature ne date pas d’aujourd’hui et n’est pas l’apanage de nos seules sociétés. Tout écrivain est désormais conscient de la nécessité d’accueillir pour mieux la dépasser « l’angoisse de l’influence », théorisée par Harold Bloom au début des années 1970, afin d’inscrire son texte au cœur d’un vaste réseau aux développements tant diachroniques que synchroniques. La notion de réseau retenue pour cette journée d’étude peut supposer l’existence d’un organisme central autour duquel se déploieraient une multitude de ramifications – une conception pouvant aussi bien évoquer l’image de l’arbre ou du labyrinthe (Eco) – ou au contraire favoriser une approche davantage inspirée de la figure deleuzienne du rhizome et qui placerait n’importe quel texte à la croisée de plusieurs autres œuvres, ni point de départ ni aboutissement, mais simple point dans un maillage infini traversant les époques, les frontières et les genres. Cette dernière conception, qui permet d’éviter toute idée de hiérarchie, d’autorité et de subordination, invite à considérer les phénomènes relevant de l’intertextualité selon l’axe de la profondeur ou de l’horizontalité plutôt que de la verticalité.
Cette journée d’étude se veut l’occasion d’une réflexion sur le fonctionnement en réseaux de la littérature, tant du point de vue de l’écriture que de la lecture. Nous espérons y voir émerger des pistes de réflexion fructueuses, et pourquoi pas de nouveaux modèles de pensée mieux à mêmes de rendre compte de la richesse d’une approche réticulaire des œuvres et de la pratique littéraire.
Parmi les pistes envisagées, les participants pourront notamment s’intéresser aux axes thématiques suivants (liste non exhaustive) :
Du point de vue de l’écriture :
- Dans une perspective poïétique, la place de l’inspiration, de l’influence (volontaire ou involontaire, revendiquée ou voilée) dans l’acte d’écriture.
- Les différentes modalités de transposition d’une œuvre (récriture, réinterprétation, adaptation, pastiche, parodie, jusqu’au plagiat) qui invitent à s’interroger sur les rapports entretenus entre hypotexte et hypertexte (Pierre Ménard, auteur du Quichotte de Jorge Luis Borges, Ulysses de James Joyce…).
- L’intertextualité considérée comme un dialogue infini entre les textes, entre les écrivains.
- Les pratiques d’écriture collaboratives (Oulipo, collectif Inculte, bande-dessinée Donjon, projets ponctuels comme Caverns, roman écrit par Ken Kesey et son groupe de creative writing…).
- À un niveau intratextuel, l’étude de textes de fiction écrits sur un fonctionnement réticulaire (« Seymour – An Introduction » de J. D. Salinger, romans polyphoniques à l’image de As I Lay Dyingou The Sound and the Furyde William Faulkner…).
Du point de vue de la lecture :
- L’importance (ou non) de la conscience chez le lecteur de la place d’une œuvre dans l’histoire littéraire (familiarité avec un genre donné et ses conventions, allusions perçues ou manquées…) et son impact sur sa réception (l' »horizon d’attente » théorisé par Jauss).
- Le mouvement de va-et-vient qu’implique l’intertextualité : relecture d’une œuvre antérieure à la lumière d’un nouveau texte, par exemple une « récriture » offrant un point de vue différent sur certains monuments de la littérature (Wide Sargasso Sea de Jean Rhys, Meursault, contre-enquêtede Kamel Daoud…).
- Les « cycles de nouvelles » ou « romans composites » regroupés ou non en un seul et même volume (Les Rougon-Macquart de Zola, La Comédie Humaine de Balzac, The Nick Adams Stories de Hemingway, Winesburg, Ohio de Sherwood Anderson, Harry Potter de J. K. Rowling…) et qui ouvrent la voie à une réflexion sur les rapports entre fragment et ensemble et sur l’impossibilité d’une interprétation définitive, puisque toujours mouvante.
- Les apports du numérique : l’expérience du lecteur face à la littérature hypertextuelle (Shelley Jackson, Stephanie Strickland, Robert Kendall…) ; le rôle des communautés de fans et des réseaux sociaux littéraires (Booknode, Babelio…), ainsi que la nouvelle place conférée au lecteur (fan fiction, influence via les réseaux sociaux…).
Cette journée d’étude est ouverte à tous mais s’adressera en priorité aux jeunes chercheurs. Les communications, d’une vingtaine de minutes, seront réalisées en français.
Les propositions de communication d’environ 300 mots sont à envoyer accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique avant le 6 mai 2019 à l’adresse suivante : journee.etudesreseaux@gmail.com. Les personnes dont les propositions auront été retenues seront averties le 3 juin 2019.
Comité d’organisation : Florian Beauvallet, Agathe Berland
Comité scientifique : Sylvaine Bataille (CNU 11), Tony Gheeraert (CNU 9), Jean-Louis Jeannelle (CNU 9), Anne-Laure Tissut (CNU 11)
Bibliographie sélective
- Attridge, Derek. The Singularity of Literature, London: Routledge, 2004.
- Bayard, Pierre. Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?, Paris : Minuit, 2007.
- Bloom, Harold, The Anxiety of Influence, New York and Oxford: Oxford University Press, 1997 (second edition).
- Bourriaud, Nicolas. Radicant : pour une esthétique de la globalisation, Paris : Denoël, 2009.
- Casanova, Pascale. La république mondiale des Lettres, Paris : Seuil, 1999.
- Compagnon, Antoine. La seconde main ou le travail de citation. Paris : Seuil, 1979.
- Deleuze, Gilles et Felix Guattari. Mille Plateaux. Paris : Éditions de Minuit, 1980.
- Eco, Umberto. L’œuvre ouverte. Paris : Seuil, 1965.
- Eco, Umberto. De l’arbre au labyrinthe. Paris : Grasset, 2012.
- Gignoux, Anne-Claire. « De l’intertextualite a la récriture ». Cahiers de Narratologie 13 (2006). En ligne. <http://narratologie.revues.org/329>.
- Jauss, H. R. Pour une esthétique de la réception. Paris : Gallimard, 1978.
- Jouve, Vincent. La lecture. Paris : Hachette, 1993.
- Marthe, Robert. L’ancien et le nouveau, Paris : Grasset, 1963.
- Rabau, Sophie. L’intertextualité. Paris : Flammarion, 2002.
- Sanders, Julie. Adaptation and appropriation, London & New York: Routledge, 2006.
- Thirlwell, Adam. Miss Herbert. London: Jonathan Cape, 2007.