Conférence de Pierre Legrand autour du Traité de Psychopathologie (1966) de Eugène Minkovski
Horaire : 09h30-12h30
Lieu : UFR LSH | Bât. Robespierre | Salle L311 | Mont-Saint-Aignan
sur le Traité de Psychopathologie (1966) de Eugène Minkovski
« L’homme est fait pour rechercher l’humain »
La médecine a-t-elle manqué le fait psychopathologique (le drame de l’humain) ?
En recherchant à individualiser des maladies mentales comme des entités naturelles répondant à une critériologie stricte et universelle, la psychiatrie a réalisé le même parcours aporétique qui ferait de la maladie mentale une anomalie de la santé psychique, comme la psychopathologie ne serait que l’étude des anomalies de la santé psychique, notion que l’on peut défier qui que ce soit de définir. La voie du naturalisme est donc une impasse pour la psychiatrie (Freud n’étant qu’une voie plus élaborée de ce naturalisme).
Est-ce à dire qu’il faudrait laisser cette étude aux sciences humaines centrées autour de l’anthropologie et renoncer à l’éthique médicale comme mode de saisie de l’humain, comme si seule l’abolition de la frontière entre le normal et le pathologique pouvait légitimer l’abord du malade mental, ou encore comme si seule l’implication de l’observateur dans l’observé (du médecin dans le malade) ne pouvait être la voie royale ?
Minkovski nous donne deux abords pour surmonter le spleen du psychiatre :
- L’existence humaine se décline par le drame comme surprise des étants ;
- L’existence humaine se vit dans la souffrance ;
Ces deux éléments refondent la légitimité médicale car le psychiatre est coutumier du drame et de la souffrance. L’auteur réintroduit la dimension affective dans l’expression existentielle et non pas comme une forme expressive (un emballage au contenu), mais comme l’essence de ce vécu qui pourra se thématiser en mode « phénoméno-structural », c’est-à-dire comme un mode à vivre relativement stable dans l’à venir des situations, des modes de réception du vivre. La santé mentale serait ainsi une flexibilité de ces modes pathiques et leur restriction fonderait la maladie. Ces modalités pathiques ne sont en rien des sattelites de l’expérience mais la constituent pleinement.
L’élan vital bergsonnien est-il une ontologie ? Un être qui se définirait à la fois comme intuition immédiate et comme intelligence réflexive ? Un être noétio-noématique dont l’entre deux abriterait tous ses étants ? En tant que clinicien, l’auteur nous invite par la méthode phénoménologique à explorer les deux dimensions du vivre : le temps vécu et l’espace vécu. Le temps vécu : l’homme est la carcasse du temps, l’incarnation de la durée qui n’est pas perceptible en dehors du corps (la méditation sur la durée ne peut être qu’un exercice du corps). L’espace vécu : l’homme voit par le regard sa pensée se spatialiser et par son corps, la polarisation sur un point central qui est le moi spatial de la mobilité vitale (la méditation sur la pensée ne peut être que métaphorisé sur le mouvement). Ces éléments cliniques et philosophiques fournis par Minkovski sont-ils suffisants pour refonder un sens à la pratique psychiatriqu e ? Oui en acceptant de renoncer au naturalisme ; oui en s’appuyant sur une éthique du drame et de la souffrance ; oui en refusant la barrière normal/pathologique, ce qui implique une identification en miroir qui conduit à l’empathie ou à la compassion ; oui en repensant l’expérience existentielle comme pathique et structurale par le phénomène.
Pierre Legrand est docteur en Médecine, chef de service à la Clinique Saint Etienne du Rouvray.