Conseil et relation d’aide
Horaire : 10h30-17h30
Lieu : Université de Rouen, Maison de l’Université, Salle divisible Nord
A la croisée de la psychologie introspective, de la psychothérapie,
de la thérapie familiale, de la psychiatrie, de la pédagogie et de la phénoménologie
Programme
10h30-45 Présentation de la journée : Annie Hourcade et Natalie Depraz
Matinée : Présidence par Philippe Fontaine (dépt. de philosophie)
10h45-12h15 Séquence n°1 : Psychologie de l’introspection et psycho-thérapie
10h45-11h45 Claire Petitmengin et Jean-Michel Nissou : « Qu’est-ce qu’entrer en contact avec son expérience ? »
11h45-12h15 Audrey Gerlain, écho philosophique et discussion
Repas
Après-midi : Présidence par Alain Trouvé (dépt. de sciences de l’éducation)
14h-15h30 Séquence n°2 : Psychiatrie et thérapie familiale
14h-15h Frédéric Mauriac et Emmanuel Lépine : « Position et processus de soutien en intervention de crise : un exemple clinique »
15h-15h30 Sébastien Jobert, écho philosophique et discussion
Pause
15h45-17h15 Séquence n°3 : Introspection sensorielle et somato-psychopédagogie
15h45-16h45 Eve Berger et Didier Austry : « La somato-psychopédagogie : l’expérience corporelle au cœur de la relation d’aide »
16h45-17h15 Hadrien Simon, écho philosophique et discussion
17h15-17h30 Conclusions
Argument
Si, par le passé, les confesseurs, directeurs de conscience, sages, anciens, guérisseurs ou sorciers répondaient aux besoins de soutien, d’accompagnement, de purification, d’aide au changement, on a vu se constituer au 20ème siècle une classe nouvelle de « professionnels » qui sont de plus en plus nombreux, et dont la demande, mesurée en termes économiques, ne cesse d’augmenter.
Un changement s’est donc opéré dont on n’a pas encore mesuré l’ampleur et les conséquences. Ce changement porte sur l’apparition des métiers de la relation : psychanalystes, psychothérapeutes, spécialistes en remédiation cognitive, rééducateurs, animateurs de développement personnel, formateur en communication, en négociation, spécialiste du « coaching » des managers, entraîneurs, consultants, « conseillers philosophiques ». La caractéristique fondamentale de ces professionnels réside dans leur statut de praticiens : ils exercent des techniques, ils diagnostiquent des problèmes et tentent de les résoudre sur des bases pragmatiques, à savoir, ni théoriques, ni scientifiques, dans la mesure où la science dont ils auraient besoin pour fonder leurs pratiques n’existe pas encore. C’est à peine si, depuis trente ans, les sous-disciplines qui pourraient apporter des réponses sont en voie de création et de re- connaissance institutionnelles. Une partie importante de ces profes- sions se développe hors des cursus universitaires ; une autre partie reçoit une formation théorique appuyée sur les disciplines de base, mais se forme pratiquement à l’aide de techniques, dans des stages où la référence aux connaissances universitaires est plus que secondaire et peut être même radicalement non-pertinente.
On a là affaire à une situation sans précédent du point de vue historique. Des milliers de professionnels sont en train, à propos des activités cognitives, des croyances, des émotions, d’inventer depuis cinquante ans de nouveaux indicateurs et observables, de nouvelles techniques de modification et formes d’aide au changement. Toutes travaillent en prise directe avec l’expérience humaine subjective ; toutes développent de façon immanente ce que l’on pourrait appeler une « psycho-phénoménologie pratique ». Cela représente un immense réservoir de savoirs non-thématisés.
Dans plusieurs domaines, il y a eu une grande créativité : dans le domaine de la pédagogie, conçue en particulier comme remédiation à l’échec scolaire, à l’enseignement, non seulement des connaissances ou des algorithmes scolaires, mais aussi des gestes mentaux correspondants ; dans le domaine de la psychothérapie, envisagée comme un problème de communication et d’aide au changement. La caractéristique commune de ces domaines réside dans le fait que les connaissances développées sont directement confrontées à la réalité à travers des problèmes d’application. Or, ce gigantesque effort de création et d’invention passe encore largement inaperçu parce qu’il est le fait de praticiens qui écrivent peu ou n’ont pas le souci de théoriser. De plus, toutes ces pratiques sont « enfermées » dans des situations peu publiques (cabinet de consultations, petits groupes de travail, stages peu diffusés). Le seul fait de s’y être formé et de l’avoir pratiqué effectivement donne une idée du réservoir de connaissances que recèlent ces pratiques relativement à l’expérience subjective. ((N. Depraz, F. J. Varela, P. Vermersch, op. cit. p. 250.))
Or qui dit « aide », dit « soutien », « accompagnement », « relation », à savoir éthique intersubjective et pluri-directionnelle. Tous ces professionnels sont pratiquement en position de conseiller quelqu’un qui se trouve être en difficulté, c’est-à-dire dans l’impossibilité d’y voir clair par lui-même. Pour autant, conseiller ne signifie pas ici être détenteur d’un savoir, donc d’un pouvoir voire d’une autorité qui engendre hiérarchie et subordination. Dans le cadre de la pratique relationnelle située au cœur de la relation d’aide, le professionnel est aidant par le fait que, précisément, il ne sait pas. Il dispose de quelques outils qu’il met au service d’une situation toujours nouvelle et contribue, par le partage de cette situation, à faire émerger du sens et éventuellement une possibilité de résolution. C’est même le non-savoir qui est le garant le plus évident de la justesse de l’attitude relationnelle, et qui défait l’emprise thérapeutique qui « veut » obtenir un résultat de guérison. En fait, ici, au mieux, l’effet de l’action relationnelle sera un effet thérapeutique, dans la plupart des cas, l’effet sera la prise de conscience qu’il est possible de « vivre avec » sa souffrance. ((N. Depraz et F. Mauriac, « La fécondité des approches en deuxième personne pour la phénoménologie de la vie de Michel Henry », Revue Internationale Michel Henry 2., 2010.))
Objectif de la journée
Notre idée est donc de donner la parole dans le cadre de l’Université à des praticiens exerçant dans différents champs psychologiques et psycho-thérapeutiques, et de faire résonner la présentation concrète de leur façon de travailler, de leur vécu en relation, avec les concepts dont disposent la philosophie dans ses jalons en morale et en éthique (Kant, Hegel, Nietzche) et, de façon plus contemporaine, la phénoménologie (Scheler, Levinas, Ricœur, Sartre, M. Henry), et ce, par contraste avec l’éthique contemporaine du care. En développant une forme de regard réflexif sur ces pratiques, il se peut qu’une amorce de théorisation en émerge. Nous espérons ce faisant contribuer à interroger la notion de conseil sous l’angle de ces pratiques relationnelles et faire émerger son statut spécifique dans ce contexte, en lien avec le plan de l’éthique et du politique, moins comme autorité conseillante que comme relation conseillère.
Cette première journée, qui donnera prioritairement la parole aux praticiens, sera suivie de trois autres, qui permettront 1) aux philosophes et théoriciens de rebondir sur les pratiques décrites et racontées, 2) de donner toute sa place aux enjeux contemporains du « conseil philosophique » en lien avec le consulting et le coaching, 3) de revenir sur les notions de formation et d’éducation dans le cadre de la didactique et de l’apprentissage.
Résumés des interventions
Claire Petitmengin et Jean-Michel Nissou, « Qu’est-ce qu’entrer en contact avec son expérience ? »
Plusieurs études sur l’efficacité des méthodes thérapeutiques aboutissent à la conclusion que le changement dépend moins du contenu de la thérapie tel qu’il est préconisé par la méthode utilisée, que de la qualité du « contact » du patient avec son expérience. Mais qu’est-ce qu’entrer en contact avec son expérience ? Existe-t-il des indices, verbaux ou non, permettant aux psychothérapeutes d’identifier le degré de contact d’un patient avec son expérience à un moment donné ? Quels gestes intérieurs permettent d’établir ce contact ? Comment peuvent-ils être suscités par le thérapeute ? Après avoir brièvement examiné ces questions, nous proposerons un exercice permettant de faire varier ce degré de contact, en fonction de la « position perceptuelle » adoptée dans une situation présente ou évoquée.
Frédéric Mauriac et Emmanuelle Lépine, « Position et processus de soutien en intervention de crise : un exemple clinique »
E.R.I.C (Equipe Rapide Intervention de Crise) est un service d’urgence psychiatrique qui intervient a domicile. Comment la position d’aide et de soutien auprès des personnes dans leur contexte permet d’éviter d’être pris par le sentiment d’urgence, souvent paralysant ? Comment utiliser la crise comme moteur à un changement ?
Le dispositif ERIC, son organisation structurelle, le processus de soutien aux équipes intervenantes, le cadre de la prise en charge sont déjà des outils pour agir. Par ailleurs, l’originalité des personnes est aussi un outil pour faire avancer les situations de crise.
Nous décrirons le dispositif ERIC en relevant les éléments utiles pour aider à l’intervention, et nous proposerons une situation clinique pour montrer les processus à l’œuvre directement dans l’intervention de crise.
Didier Austry et Eve Berger : « La somato-psychopédagogie : l’expérience corporelle au cœur de la relation d’aide »
Nous présenterons la somato-psychopédagogie selon trois axes liés au thème de cette journée. Tout d’abord, nous montrerons par quelle méthodologie la somato-psychopédagogie peut être vue comme une psycho-phénoménologie pratique, spécifiquement centrée sur la dimension corporelle du vécu subjectif. Ensuite, nous interrogerons la question du non-savoir comme garant de la justesse relationnelle en distinguant, au sein de la relation d’aide, différentes natures de symétrie et d’asymétrie relationnelles, chacune ayant une fonction propre sur le plan de l’accompagnement thérapeutique. Enfin, nous proposerons une mise en lien théorique avec le concept de réciprocité, abordé par D. Bois d’une part et par les courants sociologiques et anthropologiques issus des travaux de M. Mauss sur le don et l’échange d’autre part.
Calendrier des journées d’étude
1) En amont : 27 janvier 2012, « Conseil et relation d’aide »
2) 2013 : « Les praticiens-thérapeutes « conseillent »-ils ? Postures et regards éthiques »
3) 2014 : Le conseil philosophique : consulting, coaching »
4) 2015 : Formation, éducation, apprentissage : quelle figure du conseil ?
Bibliographie
G. Bateson & P. Watzlawick, La nouvelle communication, Paris, Seuil, 1981.
E. Berger, La somatopsychopédagogie. Ou comment se former à l’intelligence du corps, Paris, Point d’appui, 2006.
D. Bois, E. Berger, Une thérapie manuelle de la profondeur. Méthode Danis Bois, fasciathérapie, pulsologie, Paris, Trédaniel, 1990.
I. Boszormenyi-Nagy, B. R. Krasner, Between Give and Take, New York, Brunner/Mazel, 1986.
A. Cohen-Varela, « One idea: On the path of F. J. Varela », Journal of European Psychoanalysis, n°14, 2002.
A. Cohen-Varela, « Facing up to the embarrasment: the practice of subjectivity in neuroscientific and psychoanalytic experience, Journal of European Psychoanalysis, 2000.
N. Depraz, F. Varela et P. Vermersch, On becoming aware. A pragmatics of experiencing, Amsterdam, Benjamins Press, 2003. Texte français: A l’épreuve de l’expérience. Pour une pratique phénoménologique, Bucharest, Zeta Books, 2011.
N. Depraz et F. Mauriac, « Secondes personnes », Evolution psychiatrique, 2006.
M. Erikson, L’hypnose thérapeutique, Paris, ESF, 1983.
F. Mauriac et N. Depraz, « Phénoménologie de la relation », Psychiatrie, sciences humaines et neurosciences (revue), G. Granger éd., 2009.
A. de la Garanderie, Défense et illustration de l’introspection, Paris, Centurion, 1989.
A. de la Garanderie, Pour une pédagogie de l’intelligence, Paris, Centurion, 1990.
P. Michard, « De l’éthique intime », Groupe familial n°133, 1991.
Mony Elkaïm, Si tu m’aimes, ne m’aimes pas. Approches systémique et psychothérapie, Paris, Gallimard, 1989.
Mony Elkaïm ed., Panorama des thérapies familiales, Paris, Seuil, 1995.
Mony Elkaïm ed., Comprendre et traiter la souffrance psychique, Paris, Seuil, 2007.
C. Petitmengin, éd., Ten Years of viewing from within, Imprint Academic, 2009.
A. D. Schön, Educating the reflexive practitioners, San Francisco, Jossey-Bass Publishers, 1990.
P. Vermersch, L’entretien d’explicitation en formation initiale et continue, Paris, ESF, 1994, 2008.
P. Vermersch, La psycho-phénoménologie, Paris, P.U.F., 2011.
P. Watzlawick, J. Weakland & R. Fisch, Changements, paradoxes et psycho-thérapie (1974), Paris, Seuil, 1975.
P. Watzlawick, Comme réussir à échouer (1986), Paris, Seuil, 1988. Coll. Points, 1981.
L. Zeltner, F. Mauriac, N. Depraz, « Multiplicité relationnelle et rapport inter-individuel. Pour une pratique phénoménologique de l’antinomie en psychiatrie et en psychanalyse », Alter n°14, Paris, 2006, pp. 219-247.
Jalons philosophiques en amont
E. Kant, Critique de la raison pratique,
E. Kant, Anthropologie d’un point de vue pragmatique,
G. F. Hegel, Principes de la philosophie du droit,
M. Henry, « L’éthique et la crise de la culture contemporaine », in Phénoménologie de la vie, tome IV: Sur l’éthique et la religion, Paris, P.U.F., 2004, pp. 31-41.
M. Henry, « Souffrance et vie », in Phénoménologie de la vie, tome I: De la phénoménologie, Paris, P.U.F., 2003, pp. 143-157.
E. Husserl, Sur le renouveau (1917-1918), Paris, Vrin, 2005.
E. Levinas, Ethique et infini, Paris, Arthème Fayard, 1983.
F. Nietzsche, Par delà bien et mal,
F. Nietzsche, Généalogie de la morale,
P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990.
J.-P. Sartre, Cahiers pour une morale (1947-1948), Paris, Gallimard, 1983.
M. Scheler, Le formalisme en morale et l’éthique matériale des valeurs. Essai nouveau pour fonder un personnalisme éthique, Paris, Gallimard, 1955.
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