Trouble dans le genre : le nu dans la peinture britannique de l’Antiquité (1860-1900)

Date : 16 octobre 2018
Horaire : 16h30-18h00
Lieu : UFR LSH | Bât. 3 | Salle du CETAS (A506) | Mont-Saint-Aignan

Anne-Florence Gillard-Estrada est maître de conférences en études anglophones à l’Université de Rouen-Normandie (ERIAC)

Le nu, féminin et masculin, fait son grand retour dans la peinture britannique à partir des années 1860, principalement dans des sujets mythologiques ou allégoriques qui mettent en scène le corps grec inspiré des modèles sculptés antiques. Dans un contexte victorien où les corps étaient fortement marqués par les normes sociales de genre, les artistes associés à l’école « classique » ou au Mouvement « esthétique » (« Aesthetic Movement ») entreprirent d’évacuer la dimension charnelle du corps. Ils justifient leurs nus féminins par le discours sur la part d’idéalisation inhérente à l’art grec, ce qui peut sembler paradoxal puisque le nu remplissait une fonction érotique dans la statuaire grecque. Ils se revendiquent en outre de la tradition académique inspirée des écrits de Winckelmann et Hegel, notamment sur le nu, appréhendé selon un ensemble de normes esthétiques et de principes théoriques. Par ailleurs, de nombreux artistes articulent cette approche du nu sur les crédos de l’Esthétisme, dont les tenants prônent un art qui soit motivé avant tout par des préoccupations formalistes. Le corps devient alors un motif pictural parmi d’autres.

Or, dans les deux cas, cette entreprise de désexualisation du corps nu se heurte à la présence phénoménale de celui-ci. Malgré le vêtement discursif dont il est revêtu, le nu implique une part d’érotisation, et l’étude de la réception de ces œuvres dans la critique d’art et les périodiques de l’époque témoigne de la difficulté à refouler le désir en détachant le « nu » de la « nudité ». Quant au nu masculin, il réaffirme et trouble à la fois les normes de genre, oscillant entre le « nu héroïque » – censé obéir à des normes esthétiques et académiques et véhiculant des représentations stéréotypées des rôles sexués – et l’androgyne, langoureux et mélancolique, corps avant tout décoratif qui fait l’objet d’une véritable contemplation homoérotique.

On voudra par cette présentation affirmer avec l’historien d’art Daniel Arasse qu’il faut avant tout laisser le regard s’attarder sur ces nus car, même si « on n’y voit rien », ce rien, ce n’est pas rien…

Répondante : Catherine Baroin.