Appel à communication « Chanter les poètes »

Appel à contribution pour le colloque international « Chanter les poètes » organisé par l’Institut des langues et cultures d’Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie (ILCEA4 – Université Genoble Alpes)

Les musiciens qui ne comprennent rien aux vers ne devraient pas mettre en musique.
Claude Debussy
Défense de déposer de la musique le long de ces vers.
Victor Hugo

Alors que Dante affirmait encore au début du XIVe siècle, dans une sorte de filiation revendiquée avec la lyre des Muses ou d’Orphée, que « toutes paroles mises en vers [sont] chansons »[1], et que troubadours et trouvères créaient au Moyen Age à la fois les poèmes et les musiques qui les accompagnaient, à la fin du Moyen Age et dès le XVIe siècle musique et poésie se dissocient. Le poème est alors considéré comme ayant une musique qui lui est propre. Tandis que la modernité a consacré le poème à lire silencieusement et que la chanson s’est constituée comme un art autonome, on assiste au XXe siècle à un regain d’intérêt pour la poésie, et le texte écrit pour la page devient texte de chanson. S’adressant à un public bien plus large que le genre défini au XIXe siècle de la « mélodie » (Kunstlied, Art Song), genre dont l’existence est constatable dès la Renaissance, des chanteurs « populaires » se tournent eux aussi vers une poésie qui n’était pas destinée à être chantée en public et transforment ainsi les vers des poètes en « paroles » de chanson. Ce phénomène s’amplifie et se constate dans toutes les aires linguistiques et culturelles au cours des XXe et XXIe siècles : en France les poésies d’Aragon sont adaptées par Léo Ferré, Jean Ferrat, et Brassens, en Espagne Miguel Hernández est mis en musique par Enrique Morente ou Carmen Linares, aux Etats-Unis Jim Morrison ou Bob Dylan chantent les poèmes de William Blake, et l’on assiste à d’improbables rencontres entre Jean-Louis Murat et Antoinette Deshoulières, Pascal Obispo et Marceline Desbordes-Valmore, Jean-Louis Aubert et Michel Houellebecq, ou Carla Bruni et la poésie anglo-saxonne des XIXe et XXe siècles (W.B. Yeats, E. Dickinson, W.H. Auden, Dorothy Parker). L’adaptation de poésies devient ainsi une catégorie de la chanson populaire, et se retrouve dans tous les genres musicaux (jazz, pop, rock, flamenco, world music) se distinguant ainsi de productions moins attentives à la qualité du texte.

Ce sont ces phénomènes d’appropriation, d’interprétation (au sens propre) et de réinterprétation que nous voudrions étudier dans le cadre de ce colloque international « Chanter les poètes » qui permettra d’abord d’apporter un éclairage sur la constitution d’un « canon » : quels sont les poètes mis en chanson et comment s’opère le choix ? On s’interrogera aussi sur les modalités particulières de « mise en musique » de la poésie, sur la notion de « cantilation » et de poème « cantilable » (selon la définition de Stéphane Hirschi[2]), sur la figure du chanteur comme « passeur », sur les phénomènes d’appropriation et de réécriture (Aragon définissait la mise en musique comme « une forme supérieure de la critique poétique, une critique créatrice, qui recrée le poème, qui choisit et donne à un vers une importance une valeur qu’il n’avait pas, le répète, en fait un refrain… »), sur les modifications introduites par la musique et la voix sur la perception du texte, voire sur le texte lui-même par l’adaptation, sur les liens privilégiés entre poésie savante et chanson populaire en fonction de la période abordée – Antiquité, Moyen Âge, Renaissance, époque moderne époque contemporaine – et de l’aire géographique (Europe, Afrique , Amérique, Asie, Australie). Il sera aussi possible de s’intéresser à des textes de chansons visant une grande qualité poétique : les auteurs-compositeurs-interprètes[3] ne sont-ils pas des poètes à part entière, l’attribution en 2016 du Prix Nobel de littérature à Bob Dylan ne consacre-t‐elle pas la valeur poétique du genre ?

NOTES

[1] Dante Alighieri, De l’éloquence en langue vulgaire, II, 2, traduction d’André Pézard, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1965, p. 599.
[2] Stéphane Hirchi, « Aragon el chanson », in Daniel Bougnoux (dir.) Aragon, la parole ou l’énigme [en ligne]. Paris : Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2005 (généré le 18 mai 2016). Disponible sur Internet : <http:// books.openedition.org/bibpompidou/823>.
[3] Cantoautori, cantautores, (singer-) songwriters, Liedermacher, etc.

 

Ce colloque, à vocation pluridisciplinaire et transnationale, sera l’occasion d’un dialogue entre différentes approches (littéraire, musicologique, historique, sociologique, philosophique, artistique). Les exposés et les textes pourront être formulés en français ou en anglais.

Comité scientifique

Laurie-Anne Laget (Université Paris-Sorbonne), Isabelle Krzywkowski (Université Grenoble Alpes), Laurent Folliot (Université Paris-Sorbonne), Samuel Baudry (Université Lyon Lumière), Jean-Marie Fournier (Université Paris- Diderot), Claire Téchéné (Université Lyon Lumière), Juan Montero (Universidad de Sevilla), Ursula Moser (Universität Innsbruck), Fiona Stafford (Oxford University), MeikoO’Halloran (Newcastle University).

Date limite de réception des projets : 30 mai 2018 avec décision et programme définitif en juillet 2018. Une sélection des communications présentées lors de ce colloque international sera publiée dans la revue ILCEA http://journals.openedition.org/ilcea/. Les participants devront remettre leur texte définitif le 1er décembre 2019.

Prière d’envoyer votre proposition (une page) aux deux adresses suivantes en précisant impérativement son titre, en joignant une courte notice bio-bibliographique pour vous présenter :

Anne.cayuela@univ-grenoble-alpes.fr et Caroline.bertoneche@univ-grenoble-alpes.fr