Un cas de métamorphisme dérivationnel : le changement des composés possessifs en adjectifs verbaux en grec ancien

Date : 25 avril 2017
Horaire : 16h30-18h
Lieu : A600 (Salle Eriac)

Alain Blanc (Université de Rouen-Normandie),

« Un cas de métamorphisme dérivationnel : le changement des composés possessifs en adjectifs verbaux en grec ancien »

(avec transcriptions pour les non hellénistes)

 

Il y a en grec ancien une vieille classe d’adjectifs composés qu’on appelle composés possessifs. Ils indiquent que l’être vivant ou l’objet qu’il qualifie possède les deux éléments contenus dans le mot composé. Ainsi, le groupe nominal argurotoksos Apollon (ἀργυρότοξος Ἀπόλλων) comporte un nom propre (Apollon) et un adjectif qui est composé de deux éléments, le thème du nom de l’argent (métal), arguro-, et le thème du nom de l’arc, tokso-. Transformés en un adjectif par adoption d’une finale adjectivale –os, –os, –on, les deux éléments soudés arguro-tokso– ne signifient pas « (un) arc d’argent », ce qui serait un substantif, mais « qui a un arc d’argent » (cf. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, II, p. 156). Les composés de ce type apparaissent dans de nombreuses langues (latin magn-animus « au grand cœur », français magnanime, anglais blue-eyed, etc.).

Le grec a eu aussi une classe d’adjectifs totalement différents que l’on appelle adjectifs verbaux car ils reposent sur des racines verbales. On peut les comparer dans une certaine mesure aux participes passés du français. Il y a quelques adjectifs verbaux dépourvus de suffixe ; on les appelle « nom-racines ». Mais d’ordinaire, les adjectifs verbaux sont caractérisés par un suffixe, qui est généralement le suffixe *-to-. Ainsi la racine verbale indo-européenne *ḱlu– « entendre » fournit l’adjectif verbal *ḱlu-tó- « entendu », d’où, en grec, « dont on entend parler, célèbre » (klutos écrit κλυτός). En principe, tout adjectif verbal peut se combiner avec un autre élément pour donner un adjectif composé. Klutos a pu se combiner avec une préposition (peri περί « autour »), avec un adverbe comme tēle (τῆλε) « au loin ») ou avec des substantifs comme doru (δόρυ) « lance » et onoma (ὄνομα) « nom », et on a donc les composés peri-klutos (περι-κλυτός) « renommé alentour », donc « très illustre » (Hom.), tēle-klutos τηλε-κλυτός) « renommé au loin, célèbre », douri-klutos (δουρι-κλυτός) « fameux par sa lance », et onoma-klutos (ὀνομα-κλυτός ou ὀνομά-κλυτος) « célèbre de nom » (Hom.)

Il n’y a entre ces deux classes de composés (composés possessifs d’une part, composés à second membre adjectif verbal d’autre part) aucune relation étroite, ni sur le plan de la morphologie, ni sur le plan du sens. Mais – ce sera le sujet de l’exposé – il y a en grec ancien des adjectifs composés pourvus d’une finale /-ēs/ qui se répartissent en deux groupes : des composés possessifs comme a-sthenēs (ἀ-σθενής) « sans force », et des composés à second membre déverbatif comme meta-prepēs (μετα-πρεπής) « qui se distingue », qui est en synchronie lié au verbe meta-prepō (μετα-πρέπω) « se distinguer parmi ». Les composés du type de a-sthenēs sont anciens ; la comparaison linguistique avec le sanskrit et l’iranien, et aussi avec l’arménien, montre en effet que le procédé de formation remonte à l’indo-européen. Les composés à second membre déverbatif du type de meta-prepēs ne trouvent pas de correspondant dans les autres langues indo-européennes et on ne peut donc pas prouver qu’ils remontent à l’indo-européen. On peut penser, au contraire, qu’ils sont issus des composés possessifs en -ēs. L’exposé du 25 avril aura donc pour objet de montrer le mécanisme de la création de ces composés nouveaux, leur raison d’être et leur fonctionnement. Il s’agira d’une étude à la fois diachronique et synchronique, et on s’appuiera particulièrement sur les ancêtres des mots composés français à finale –gène, -oïde, -mane, -mère, -pathe et –phane.