soutenance HDR

Date : le 13 octobre 2014
Horaire : 14 h
Lieu : A 600

Leonore Bazinek, « Les sciences de l’éducation au défi de l’irrationalité. La question de la conscience individuelle dans la philosophie de l’éducation de 1800 à l’ère contemporaine ».

Sous la direction d’Emmanuel Faye.

Composition du jury :
Emmanuel Faye (Rouen)
Jean-François Goubet (Arras)
Günther Mensching (Hanovre)
Jean-Marie Winkler (Rouen)
Heinz Wismann  (EHESS, Paris)

Résumé du dossier :

La présente étude part de deux constats : primo, il y a l’étrange situation résultant du fait que le national-socialisme a été vaincu militairement en 1945. La communauté internationale a mis en place une juridiction qui le condamne. Et pourtant, cette victoire n’a pas pu le désamorcer, car la dénazification est restée incomplète. Des personnalités fortement marquées ont réintégré leur ancienne place ou une place analogue ; et les analyses de la vision du monde qui porte cette politique souffrent souvent d’insuffisances méthodologiques. Ce constat trouve sa vérification dans la présente étude par les développements autour de la notion de « totaler Krieg (guerre totale) » qui, effectivement, englobe la dimension militaire et la dimension spirituelle, s’exprimant alors non seulement par l’affrontement des armes, mais aussi par la provocation d’un affrontement des visions du monde. Lors de l’étude de ce phénomène, on s’aperçoit qu’il s‘agit en fait d’un affrontement entre un paradigme qui décline la connaissance en visions du monde d’un côté, et de la philosophie, de l’autre. Outre cet aspect épistémologique, on observe que cette guerre totale ne souffre ni trêve ni armistice. Elle appelle des solutions finales, elle est le cadre de l’extermination qui fait partie intégrante de la pédagogie des camps (sc. de concentration, de travail, d’instruction, de rééducation). C’est ici où s’inscrit le défi précisé dans le sous-titre du dossier, car, en fin de compte, la guerre totale vise une transformation totale de la conscience à travers des processus d’éducation multiples, de sorte que cette transformation même ne soit plus perceptible.

Le deuxième constat concerne l’approche scientifique de ce phénomène. Du fait du statut épistémologique biaisé de la pédagogie en raison de son imbrication spécifique de la théorie et de la pratique, il lui faut intrinsèquement l’appui de la philosophie, comme le montre un bref rappel du début de la pédagogie scientifique. La conceptualisation a évolué, si bien que l’on voit maintenant les sciences de l’éducation comme une science-carrefour, se nourrissant souvent des apports des autres sciences qu’elle met en perspective de différentes manières pour mener à bien ses tâches variées [cf. partie A]. Ses débuts allaient de pair avec la critique de la pédagogie « noire », cette éducation qui vise la soumission de l’éduquant. Mais ces critiques ne suffisent pas pour approcher l’éducation nationale-socialiste.

Quant à la réalisation de la recherche : la partie B du manuscrit inédit propose une méthodologie qui touche le noyau du problème en articulant trois ouvrages-clés. En la personne de l’auteur du premier ouvrage présenté, à savoir Alfred Baeumler (1888-1968), on rencontre une personnalité qui illustre parfaitement autant la dénazification incomplète que ces manquements d’analyse de son œuvre. Dans le Reich national-socialiste, il a été nommé professeur de pédagogie politique. Il a été en charge de mettre en place ces transformations décisives selon les exigences de cette nouvelle vision du monde. Condamné certes par le tribunal international après 1945, il a quand même eu gain de cause. Cependant, sa condamnation invite à plus de prudence que ne l’attestent l’éditeur et le traducteur de la version française d’un de ses livres datant de 1923.

Et en effet, comme la présente étude le montre, c’est très exactement avec ce livre que Baeumler contribue de façon décisive à l’échafaudage de la vision du monde völkisch [cf. section B.I]. Ce résultat est appuyé par la restitution d’une analyse critique de la vie et de l’œuvre d’un autre haut dignitaire national-socialiste, le professeur de philosophie Martin Heidegger (1889-1976), condamné aussi en 1945. Il a réussi à se disculper si brillamment qu’il peut continuer, par l’intermédiaire de ses exécuteurs testamentaires, l’infiltration jusqu’à aujourd’hui de la vision du monde völkisch dans les sciences [cf. section B.II].

Suit une section qui revient concrètement aux sciences de l’éducation en interrogeant en détail la soumission produite par la vision du monde völkisch et dégageant ainsi un concept d’aliénation hyperbolique. Cette aliénation s’effectue à travers des textes de différents genres littéraires qui sont destinés par leurs auteurs mêmes à implanter cette vision du monde dans les consciences du public [cf. section B.III].

Ce processus, pour trouver un accueil favorable, a besoin d’un certain climat. Une dernière partie reprend alors le climat socioculturel qui favorise une telle transformation. Donc, ce climat peut être désigné par le paradigme du nihilisme. Le nihilisme adopte des formes diverses, mais on a pu trouver un point de départ qui, comme bien d’autres moments dans cette sombre histoire, est sciemment occulté : la négation de la possibilité qu’a l’homme de reconnaître de façon indubitable sa propre existence, sa propre identité individuelle. Cette connaissance est incontournable pour avoir ensuite l’assurance de s’orienter d’après sa conscience, et de procéder à une formation et un entraînement de cette conscience selon des valeurs universelles (qui ne sont pas démontrées spécialement dans cette étude, mais dont la reconnaissance est discutée à plusieurs reprises) [cf. partie C].

In fine, la « Conclusion » affirme autant la valeur que la réalité de la conscience individuelle ainsi que la capacité de l’homme de les reconnaitre. Elle reprend encore une fois les aspects les plus saisissants de l’étude et conclut que la vision du monde völkisch poursuit bel et bien le but de la transformation de la conscience humaine et cela par des processus d’éducation et de formation aux sens les plus larges. À la lumière de ce résultat se confirme aussi l’observation initiale qui concerne l’ouvrage de Baeumler : Alfred Baeumler a effectivement rédigé sa prétendue histoire de l’esthétique allemande en vue de la légitimation et de la propagation de la vision du monde völkisch, ce qui se dénote par son vocabulaire dont le code devient enfin transparent.

La présente étude dans son ensemble est appuyée par un vaste panorama des sources dont rend compte la bibliographie. Simple liste alphabétique des principales sources consultées, elle est, après les notes en bas de page, l’élément le plus important pour qui veut vérifier mes propos et continuer l’un ou l’autre aspect de cette recherche. C’est pourquoi j’ai opté pour cette présentation alphabétique qui, certes, produit une certaine promiscuité en faisant voisiner les pires et les meilleurs, mais qui est aussi la présentation permettant le plus rapidement et sans équivoque de retrouver la source en question. Le dossier est complété par une note de synthèse qui présente de façon succincte ses différents composants ainsi que leur genèse ; et accompagné par un dossier d’une sélection de productions antérieures, exposant ainsi mes activités de recherche.