Séance du 15 mars 2021
Horaire : 17h00-19h00
Lieu : Visioconférence BigBlueButton
Nous aurons le plaisir d’écouter Léa Le Guellec, doctorante en 11e section, et Jean-Luc Senez, doctorant en 17e section, dont la thèse porte sur « La présence de l’objet photographié ».
La séance s’organisera comme suit :
17h00 — Léa Le Guellec, « La rupture du continu dans trois recueils d’Alice Munro : une chronologie perturbée »
18h00 — Jean-Luc Senez, « Continuité et discontinuité en photographie : la coupe en question »
Léa le Guellec : « La rupture du continu dans trois recueils d’Alice Munro : une chronologie perturbée »
Lives of Girls and Women (1971), The Beggar Maid (1978) et Something I’ve Been Meaning to Tell You (1974), trois des premiers recueils de l’auteure canadienne nobélisée Alice Munro, malmènent la chronologie en offrant au lecteur des allers-retours constants entre passé et présent, voire des incursions dans l’avenir.
Del Jordan, la narratrice de Lives of Girls and Women, raconte son enfance en Ontario au milieu du XXe siècle, et cette tension entre le temps de la narration et celui des souvenirs narrés permettent une mise à distance et un recul de la narratrice. Chaque chapitre de The Beggar Maid se clôt par une incursion dans l’avenir où l’on apprend la plupart du temps le sort doux-amer réservé à certains protagonistes de second plan. Quant à Something I’ve Been Meaning to Tell You, un recueil différent des deux précédents, car il compte treize nouvelles sans rapport les unes avec les autres, Munro y mêle passé, présent et futur selon les histoires, qui se déroulent entre les années 1940 et 1970.
Jean-Luc Senez : « Continuité et discontinuité en photographie : la coupe en question »
La photographie pourrait être définie comme le medium du discontinu : une technique de « coupe ». La discontinuité y est manifeste dans ses différents états.
1. Discontinuité de la prise de vue : capture d’image. Discontinuité spatiale : cadrage comme prélèvement : découpe d’une portion de la réalité. Discontinuité temporelle : saisie d’un moment, séparé du cours du temps et fixé pour former une image immobile : coupe immobile de la durée.
2. Discontinuité de la chaîne de production de l’image : prise de vue / développement / tirage / mode d’exposition.
3. Discontinuité inhérente à l’image : absence d’articulation entre les éléments, pure diversité sensible. La photographie semble réfractaire au récit : elle ne raconte rien.
4. Discontinuité de la série.
Mais, fondamentalement, si la discontinuité prime dans la manière de présenter la photographie, c’est parce qu’elle est pensée comme une image : en tant quereprésentation d’une réalité absente, la photographie serait ce qui coupe de la chose.
Cependant une telle présentation de la photographie est une conception abstraite qui n’est pas attentive à sa genèse, ni à sa réception. La lumière est le continuum matériel qui traverse les différents états de la production photographique et qui unifie ce qui se donne à voir en photographie. La spécificité de la photographie, qui se manifeste au premier regard pour le spectateur, est l’impression de voir l’objet même, tel qu’il s’est offert à la prise de vue par l’opérateur. La fascination que ne laisse pas d’exercer ce medium est bien la continuité d’une présence : celle d’un événement passé qui traverse le temps pour se donner à voir dans le présent du spectateur.
Il s’agira de penser alors comment la discontinuité et la continuité s’articulent dans la genèse et le réception de la photographie à partir de l’expérience de la présence de l’objet photographié. Pour faire droit à la continuité dans l’expérience photographique, il est nécessaire de définir la photographie comme un événement et non comme une image. Dans mon travail de recherche, j’essaie d’appréhender le photographique à partir de son objet compris comme un événement passé actualisé par un usage déterminé à travers l’objectif d’un photographe, et non comme une reproduction d’un état de chose. Je pense que c’est donc à partir de la continuité de la genèse de la photographie par laquelle l’objet photographié traverse le temps qu’il faut essayer de comprendre la nature de la coupe, celle qui survient lors de la prise de vue, l’instant du déclenchement, et celle qui fragmente la photographie telle qu’elle apparaît au spectateur (le cadrage qui découpe la scène, et l’absence d’articulation entre les éléments visibles). Est-ce que la discontinuité qui se manifeste en photographie se présente vraiment comme une violence : le tranchant d’une coupe dans le vécu du photographe et du spectateur, l’éclair d’un instant ?
Dans le cadre d’une intervention limitée à 30 minutes, je proposerais la mise en œuvre de cette problématique sur une photographie, célèbre de préférence, et donc représentative de la spécificité de ce medium (sans doute celle d’Henri Cartier-Bresson, Derrière la gare Saint-Lazare, 1932).