Pratiques du détour et du suspens dans l’œuvre de J. D. Salinger
Horaire : 14h00-18h00
Lieu : IRIHS | Salle 2 | Mont-Saint-Aignan
Soutenance de thèse de Mme Agathe Berland
« Pratiques du détour et du suspens dans l’œuvre de J. D. Salinger »
Jury :
- Madame Sylvie MATHE (Aix-Marseille Université, examinatrice)
- Monsieur Arnaud SCHMITT (Université de Bordeaux, rapporteur)
- Madame Anne-Laure TISSUT (Université de Rouen Normandie, directrice de thèse)
- Madame Sophie VALLAS (Aix-Marseille Université, rapporteure)
Résumé : Cette thèse se propose de relire l’œuvre de J. D. Salinger à la lumière de l’usage que fait l’écrivain des motifs du détour et du suspens, tous deux caractérisés par un fonctionnement ambivalent. L’écriture de Salinger, fondamentalement introspective, prend par bien des aspects des allures de quête, à la fois identitaire et littéraire. L’exploration de l’identité qu’elle met en scène implique notamment un détour par l’altérité, auteur et personnages revêtant un certain nombre de masques, au risque parfois de refuser de s’en défaire ensuite. L’auteur se devine également derrière ses pratiques d’écriture, dont la dimension obsessionnelle révèle un profond désir de maîtrise de son travail, qui l’amène parfois à se perdre dans ses textes et s’apparente finalement davantage à une attitude de fuite qu’à la recherche d’un idéal littéraire. Dans l’œuvre salingerienne, le détour participe d’une réflexion sur les concepts de norme et de déviance, ainsi que sur le thème de l’errance. D’abord perçu comme néfaste, il apparaît à terme comme un moyen privilégié d’accéder à des révélations insoupçonnées. L’éloge de l’écart que l’on observe sur le plan thématique trouve un écho dans l’utilisation par les personnages-narrateurs de stratégies narratives louant les mérites du détour. La digression, le fragment, le renvoi aux marges du texte ainsi que l’intertextualité – autant d’outils interrogeant la distinction généralement établie entre le centre et la périphérie, entre l’accessoire et l’essentiel – révèlent toute leur efficacité lorsqu’ils sont employés pour aborder des sujets qui échappent aux cadres traditionnels. Le décentrement du texte passe également dans certains cas par un recours à la métatextualité qui permet notamment à l’écrivain de prolonger et de mettre en scène la réflexion qu’il mène sur son écriture. Les encarts métatextuels, parce qu’ils viennent interrompre temporairement la narration, peuvent aussi être considérés comme des manifestations du suspens dans le texte, suspens d’abord employé par Salinger pour interroger les notions de progression et de stase. Son œuvre présente simultanément une réflexion sur la résistance au passage du temps et la notion d’entre-deux, l’auteur affectionnant particulièrement la représentation de périodes liminales, à la fois lieux du mouvement et lieux hors du temps. Par ailleurs, l’écrivain s’attache par diverses stratégies narratives déployées dans ses textes à suspendre l’interprétation du sens, qui se révèle mouvant, différé, voire tout simplement retenu, lorsqu’il ne s’abîme pas dans l’absurde ou le non-sens. Ce faisant, Salinger interroge la validité de toute interprétation, plaidant pour une approche plus intuitive de l’art, et s’efforce du même geste de repousser indéfiniment l’achèvement de son œuvre, trahissant par là l’urgence éprouvée de mettre à distance l’angoisse mortifère qui l’obsède.