Pour une « Théorie de la Saillance Submorphologique » (TSS) : application à quelques mots lexicaux français et espagnols
Horaire : 16h30-18h
Lieu : A 600 Salle de l'ERIAC
Michaël GREGOIRE, Laboratoire de Recherche sur le Langage, LRL, EA 999 – Université de Clermont-Ferrand.
La submorphologie lexicale est traitée par de nombreux spécialistes [notamment Toussaint (1983), Tournier (1985), Guiraud (1986, rééd.), Philps (2002), Bohas-Dat (2007), Bottineau (2003, 2012) ou Nemo (2005)] qui s’appuient sur le domaine phono-articulatoire, parfois en articulation avec ses origines ou ses implications cognitives. Le but recherché est souvent de structurer plusieurs vocables d’une langue donnée autour d’un élément situé en amont du morphème (trait phonétique, unité de mouvement de la phonation, phonème, groupes phonématiques). Toutefois, les phénomènes dits de l’« homonymie » (ou polyréférentialité) et de la « synonymie » (ou co-référentialité) ne sont que peu voire très peu abordés, alors que ce sont eux qui posent le plus de problèmes pour une « linguistique du signifiant ». Par ailleurs, la question de la comparution d’un même lexème dans des énoncés poétiques, parémiologiques ou spirituels, couplée à des représentations sémantiques variées n’est, quant à elle, jamais évoquée, à notre connaissance.
Nos recherches en application à l’espagnol (cf. Grégoire, 2012a, 2012c), basées sur les postulats de la consubstantialité et de l’unicité du signe, montrent que la variété du sens en discours peut correspondre à une variété des saisies sur un même signifiant donné. Cette variété, si elle est bien d’ordre formel, ne remet donc pas en cause les postulats mentionnés. Chaque caractéristique saisie (kinesthésique / phono-articulatoire, graphique, idéophonique, syllabique, duplicative) sera nommée une saillance en tant que choisie par mise en regard paradigmatique et/ou syntagmatique pour renvoyer prioritairement au sens dans une situation discursive précise. Par exemple, le groupe {FL} lié au concept de « flux par frottement atténué » (cf. Toussaint, 1983 : 74) permettra d’associer aussi bien les mots français fleuve, fluide, laver, voler, loufer (« péter »), qu’espagnols fluir (« couler »), flojo (« faible »), falcón (vx, « faucon »), fleta (« friction »), flamenco (« flamant [rose] »). L’invariant {FL} dans toutes ses réalisations est donc considéré ici comme saillant. Il peut aussi advenir, dans des cas de polyréférentialité, que certains vocables se situent à la croisée de plusieurs paradigmes. Par exemple, comme autre acception de flamenco, le Diccionario de la Real Academia évoque le sens de « maigre, amoindri » (cf. DRAE, s.v., nous traduisons). Dans ce cas, ce pourra être la propriété {nasale x vélaire} qui sera exploitée : flamenco /flameNko/. Cette autre saillance est en effet liée au concept de « rétrécissement » du fait de l’activation des muscles constricteurs du pharynx lors de la prononciation d’une nasale et d’une vélaire, et fédère, par exemple, menguar (« diminuer »), angosto (« étroit »), congoja (« angoisse »), ángulo (« angle »), enclenque (« faible, amoindri »), ñengo (idem), gansarón (« homme faible et maigre ») [cf. Grégoire, 2012a : 210-235]. Nous proposerons pour cette conférence une application de la « Théorie de la Saillance Submorphologique » (TSS) à quelques vocables français et espagnols parfois situés à la croisée de plusieurs structurations morphosémantiques et intégrant des énoncés variés afin de montrer la compatibilité entre les notions de co-référentialité, de polyréférentialité et d’usages poétiques, et la « linguistique du signifiant ».
Brève bibliographie
BOHAS, Georges, et DAT, Mihai, Une théorie de l’organisation du lexique des langues sémitiques : matrices et étymons, Lyon, ENS éditions, 2007.
BOTTINEAU, Didier, « Iconicité, théories du signe et typologie des langues », Cahiers de linguistique analogique: Le mot comme signe et comme image : lieux et enjeux de l’iconicité linguistique, Dijon, A.B.E.L.L., N° 1, juin 2003, p. 209-228.
____, « Submorphémique et corporéité cognitive », in D. Philps (éd.), La submorphémique, Miranda, n°7, décembre 2012.
URL http://www.miranda-ejournal.eu/sdx2/miranda/article.xsp?numero=7&id_article=Article_13-446.
FONAGY, Ivan, La vive voix. Essais de psycho-phonétique, Paris, Payot, 1983.
GÓMEZ-JORDANA FERARY, Sonia, PUYAU, Jean-Luc (éds.), Bulletin Hispanique (La Parole Poétique. Problèmes, fables, proverbes…), tome 107, vol. n°1, Bordeaux, Presses de l’Université Michel de Montaigne / Editions Bière, juin 2005.
GRÉGOIRE, Michaël, Le lexique par le signifiant. Méthode en application à l’espagnol, Presses Académiques Francophones, Sarrebruck (Allemagne), 2012, 432 p. (2012a).
____, « La polyréférentialité des vocables espagnols cuco, a et ganga », in Marillaud, Pierre et Gauthier, Robert (dirs.), L’ambiguïté dans le discours et dans les arts, Presses de l’Université Toulouse-Le Mirail, 2012, pp. 357-388. (2012b)
____, « Quelle linguistique du signifiant pour le lexique ? Le cas particulier de l’énantiosémie », in Luquet, Gilles (dir.), Morphologie et syntaxe de l’espagnol, Paris, Presses de la Sorbonne-Nouvelle, 2012, pp. 139-153. (2012c)
____, « La motivation submorphologique de quelques noms de marques et slogans espagnols », Revue en ligne des jeunes chercheurs en linguistique de Paris-Sorbonne, n°1, site CoVariUs [Contextes, Variation, Usages], http://www.covarius.org/, 2013.
GUIRAUD, Pierre, Structures étymologiques du lexique français, Paris, Payot, 1986 (éd. or. Larousse, 1967).
NEMO, François, « Pour une typologie des rapports forme / sens » in CHEVALIER, Jean-Claude, DELPORT, Marie-France et TOUSSAINT, Maurice (dirs.), Cahiers de linguistique analogique, n°2, A.B.E.L.L., Dijon, 2005, p. 205-226.
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REAL ACADEMIA ESPAÑOLA, Diccionario de la lengua española, 22ème édition, Madrid, 2001. (DRAE)
STAROBINSKI, Jean, Les mots sous les mots : les anagrammes de Ferdinand de Saussure, Paris, Gallimard, 1971.
TOURNIER, Jean, Introduction descriptive à la lexicogénétique de l’anglais contemporain, Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1985.
TOUSSAINT, Maurice, Contre l’arbitraire du signe, Paris, Didier, 1983.