Memorial de Diego de Torres Bollo al presidente del Consejo de Indias (1603)
Auteur : Aliocha MALDAVSKYRésumé
La découverte du continent américain en 1492 puis sa conquête par les Espagnols, dans la première moitié du XVIe siècle, ouvrent la voie à un élargissement sans précédent du monde connu. Les richesses rêvées ou réelles qu’on attribue à ces territoires nouvellement découverts fondent tous les espoirs des conquérants et de la Couronne espagnole. La domination que celle-ci exerce alors sur l’Europe a ainsi toutes les chances de s’élargir à l’échelle d’un grand empire. L’existence de populations n’ayant pas reçu l’annonce de l’Évangile est la principale justification de la conquête de ce Nouveau Monde. En assumant le Patronage royal sur l’Église, la Couronne espagnole s’engage auprès du Pape à veiller à la conversion des habitants et à repousser ainsi les frontières de la Chrétienté. Les droits de l’Espagne sur ces territoires ne sont légitimes qu’à cette condition, selon les théologiens et les hommes de droit qui se penchent pendant tout le XVIe siècle sur cette question, jetant ainsi les bases du droit international. En 1603, plus d’un siècle après la découverte, le débat sur la justification théologique de la conquête a en principe été tranché. On s’aperçoit cependant, qu’il est encore d’actualité, comme le montre ce texte, rédigé par Diego de Torres Bollo, un membre de la Compagnie de Jésus, missionnaire au Pérou et fondateur de la province jésuite du Paraguay quelques années plus tard.
La principale question posée par ce texte est celle de la subordination du temporel aux finalités spirituelles du gouvernement. L’auteur appartient la Compagnie de Jésus, installée au Pérou depuis 1568. En 1603, la discussion sur les « Justes titres» du roi d’Espagne à exercer la souveraineté sur les Indes est déjà close depuis longtemps. Mais cela n’empêche pas les religieux de relancer régulièrement le débat sur les injustices commises par les Espagnols à l’encontre des Indiens, perpétuant ainsi la tradition critique de l’Église en matière coloniale, dont le représentant le plus connu est le dominicain Bartolomé de Las Casas. Fidèle à l’attitude de compromis adoptée par la Compagnie de Jésus sur ces thèmes, le jésuite qui a commis ce texte ne conteste pas la souveraineté du roi d’Espagne. Il rappelle néanmoins le pouvoir temporel – ici le président du Conseil des Indes – à ses devoirs moraux et spirituels, en revenant sur les principes qui fondent le Patronage royal et sur les erreurs commises sur le terrain. Il est en réalité particulièrement critique vis-à-vis du clergé qui a eu jusque là la charge des âmes des Indiens.
L’auteur appartient à la Compagnie de Jésus, un ordre jeune, à la pointe des idées de la Réforme catholique, dont la réputation repose en partie sur la formation intellectuelle de ses membres. La rhétorique mise à l’œuvre pour rappeler la Couronne à ses devoirs évite de s’immiscer dans le gouvernement temporel. On ne doit pas non plus omettre d’expliquer les nombreuses allusions aux principes et au fonctionnement du système colonial qui, en 1603, n’en est plus à ses balbutiements. Pour aborder le commentaire, il importe donc de maîtriser une notion comme le Patronage royal, qui fonde les relations entre l’Eglise et la Couronne, le système économique colonial, à l’échelle impériale mais aussi locale, et notamment au Pérou, ainsi que les étapes de l’évangélisation des Indiens.
L'auteur
Aliocha Maldavsky est maître de conférences à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense et membre de l’Institut Universitaire de France. Ses recherches sur les missions jésuites dans les Andes et sur les vocations missionnaires au XVIe et XVIIe siècles contribuent à une histoire sociale et transatlantique des missions catholiques d’évangélisation. Son travail s’oriente désormais vers une histoire du rôle des laïcs dans l’évangélisation en Amérique et sur la place de la religion dans les mécanismes de distinctions au sein des sociétés hispano-américaines. Elle a publié Vocaciones inciertas. Misión y misioneros en la provincia jesuita del Perú en los siglos XVI y XVII, Madrid-Lima, CSIC / IFEA / Universidad Ruiz de Montoya, Colección Universos Americanos, 2012.
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DocumentPour citer l'article
Aliocha MALDAVSKY « Memorial de Diego de Torres Bollo al presidente del Consejo de Indias (1603) »,
Travaux et Documents Hispaniques / TDH, 3, 2012,
Les Jésuites dans le monde moderne (XVIe-XVIIIe siècles) : textes commentés et débats historiographiques
© Publications Electroniques de l’ERIAC, 2012.