Le Roman et les langages du soi à l’aube des Lumières

Date : Mardi 27 mai
Horaire : Journée
Lieu : Salle du CETAS (A506)

Intervention d’Orla Smyth (U. Le Havre, GRIC)

Le Roman et les langages du soi à l’aube des Lumières

Séminaire de clôture de « Transferts, hybridation: histoire, discours, fiction » (cliquez sur le lien pour retrouver le programme du séminaire et toutes les informations).

L’heure universitaire est à l’histoire des émotions. Dans les institutions académiques les plus prestigieuses de France, Allemagne, Angleterre ou Etats-Unis d’Amérique se sont en effet créés, au cours des dix dernières années, des centres de recherche dédiés à l’étude de l’émotion. Leur postulat est de considérer que la vie affective ne se vit pas de manière identique à toute époque et dans toute culture et que l’émotion constitue un phénomène historiquement et culturellement construit et porteur d’effets. Les recherches menées sont marquées par leur caractère interdisciplinaire, associant sociologie, histoire, anthropologie, psychologie…, mais il est remarquable que la littérature n’y est pas très présente. Or, la littérature constitue une discipline de choix pour l’étude de l’émotion.
La présentation se concentre sur une brève période historique mais une période spécifique. A ce moment-là, une multitude variée de textes formulent un même problème : le besoin d’élaborer un lexique, des tournures de phrases, pour désigner de manière plus précise la complexité et les méandres de la vie affective. Ces textes datent des dernières décennies du XVIIe siècle et des trois premières du XVIIIe et proviennent également de la France et de l’Angleterre. On ne peut qu’être frappé par la manière dont ces textes font écho à certaines préoccupations de notre temps sur le rapport entre représentation et être, l’un reposant sur l’autre sans qu’aucun rapport d’antériorité ne puisse jamais être établi.
Admettre avec les auteurs de cette période que la fiction façonne un langage de soi, imaginer comme ces auteurs que là réside sa fonction première, c’est inverser une logique longtemps en vogue selon laquelle la fiction représenterait une réalité qui lui préexiste. Dire que la fiction façonne un langage de soi suggère que la vie affective repose sur l’accès à un lexique et que les lexiques du soi évoluent et doivent évoluer en fonction d’environnements changeants. Mais on se heurte ici à une contradiction : si la mise en récit de l’expérience individuelle permet et, de manière importante, créé l’expérience individuelle, d’où vient cette capacité de mise en récit d’expérience affective qui, logiquement, est encore en stade de construction ? Pour répondre à cette question, il n’est plus permis de recourir à la solution d’autres temps – celle du « génie » – car cette réponse niait, en quelque sorte, la légitimité de la question. En proposant une autre réponse, mon analyse souligne l’importance des bibliographies, souvent négligées par les littéraires, qui portent sur l’histoire de la pensée politique, économique, juridique, philosophique et morale. L’analyse suggère que, lorsque les auteurs du XVIIIe siècle façonnent un langage de soi, ils s’approprient, adaptent et transforment pour leurs besoins une terminologie et un appareil conceptuel qui proviennent de ces domaines. On pourrait s’attarder sur l’inventivité de cette appropriation et dénaturation de notions et de termes conçus pour répondre à d’autres besoins, mais ma communication insistera surtout sur l’apport de cette approche historiciste au regard de l’objet d’étude : les fictions elles-mêmes. Aborder le texte littéraire du point du vue de l’histoire de la vie affective permet de l’aborder autrement et ouvre à la recherche scientifique d’autres perspectives.


Voir aussi l‘argumentaire du séminaire de l’Axe 2 et le programme de l’année 2013-2014 : « Transferts, hybridation: histoire, discours, fiction ».