Éduquer après Auschwitz. Le “Scapa Flow” de l’intelligentsia nationale-socialiste

Date : 23 mai 2024
Horaire : 09h00-18h00
Lieu : UFR LSH | Bât. 3 | A509 | Mont-Saint-Aignan

La baie de Scapa Flow se situe entre plusieurs îles des Orcades en Écosse. C’est là que, par ordre codé de l’amiral Ludwig von Reuter, la flotte de la Marine allemande s’est sabordée le 21 juin 1919, peu avant la signature du Traité de Versailles. Avant de quitter l’Allemagne, les bateaux avaient été délestés de tous leurs composants précieux. Puis, durant le périple de la flotte, Reuter avait renvoyé de la flotte tous les membres d’équipage qu’il ne jugeait pas absolument fiables. Entouré exclusivement de marins résolus, il voulait sauver l’honneur de l’Allemagne.

Les débris dispersés au fond de la mer et sur les plages, leur dégradation lente qui libère des substances diverses, mais aussi les sauvetages partiels et la transformation finale en musée peuvent servir de métaphore pour les difficultés que rencontrent les efforts d’une éducation après Auschwitz.

On se voit ainsi confronté en Allemagne à des groupements d’apparence pluriels, constitués en parti depuis 2013 (l’Alternative für Deutschland). Bien que l’Office fédéral de la protection de la Constitution (Verfassungsschutz) s’exprime très clairement au sujet du danger politique que présente l’AfD, on lui permet de participer activement à la gouvernance politique.

La métaphore du « Scapa Flow » aide à comprendre cette situation : d’où vient ce « laisser-faire » théorique et pratique, tant des hommes politiques que des intellectuels ?

On peut montrer à ce propos que l’analyse de la vision du monde nationale-socialiste a été progressivement négligée après 1950. Une autre question consiste dans le peu de constance avec lequel a été conduit le projet d’une rééducation de l’Allemagne, prônée par les Alliés autour de 1945. Ces efforts ont été largement sacrifiés dès le début de la « Guerre froide », mise en place avec le concours de cadres et d’intellectuels nazis – voir par exemple le rôle joué par les deux frères Gehlen, l’un cadre du contre-espionnage, l’autre sociologue et philosophe. À l’instar des débris perdus sur la plage, on a de fait « recueilli » nombre de personnalités dont on n’a pas reconnu, ou voulu reconnaitre le rôle joué entre 1933 et 1945 afin de leur confier des responsabilités dans la reconstruction de l’Allemagne. Des individus qui s’étaient « sabordés » ont ainsi refait surface, notamment après 1950. Ils ont exercé leur influence en fondant des entreprises, etc., mais aussi en reprenant place dans le système académique – voir par exemple le cas des juristes schmittiens, théoriciens de l’« État total », Ernst Forsthoff et Ernst Rudolf Huber, ou encore de l’herméneute heideggérien Hans-Georg Gadamer. Ces auteurs ont jeté les bases de paradigmes historiques redoutables, qui relativisent les faits et amorcent ainsi une forme de réhabilitation de la période nazie.

Afin de mieux cerner ces multiples processus, nous nous proposons notamment de revisiter quatre témoins avertis : Edmond Vermeil (1887-1964), Armand Cuvillier (1887-1963), Theodor W. Adorno (1903-1969) et Heinz-Joachim Heydorn (1916-1974). Cette intention de mettre en relation la réalité sociétale actuelle avec ces ressources théoriques s’appuie sur le constat que la recherche scientifique ne doit pas se laisser impressionner par la violence intellectuelle, mais peut opposer aux logiques de guerre, efficaces à court terme, ses réflexions qui portent leurs fruits sur le long terme ; autrement dit, qu’une pensée libératrice peut intervenir dans le combat entre des visions du monde, sans emprunter ni les méthodes, ni les visées de ce combat. Ainsi, on s’aperçoit qu’un certain courage raisonnable fait partie des conditions décisives de la liberté proprement humaine.

Journée d’étude franco-allemande organisée par Leonore Bazinek (ERIAC UR 4705).

PROGRAMME

9h00Empfang | Réception

9h30Leonore Bazinek & Périne Schir, Introduction

I- STELLUNGNAHMEN | PRISES DE POSITION

09h45 — Wolfgang Meseth & Susanne Thimm, « Éducation après Auschwitz dans l’Allemagne contemporaine »

10h30Pause

10h45 — Alexander Neumann, « Adorno »

11h30 — Andreas Seiverth, « “Innerer Nationalsozialismus” und die Politik der Vernichtung. Heinz-Joachim Heydorns autobiographische Reflexionen zum Nationalsozialsozialismus als Voraussetzung seiner kritischen Bildungstheorie »

12h30Mittagspause | Pause midi

II- BILDUNGSPERSPEKTIVEN UND GESCHICHTE | PERSPECTIVES DE FORMATION ET L‘HISTOIRE

14h30 — Louis Rouillé, « Cuvillier, ou la dissertation (française) contre l’irrationalisme (allemand) »

15h15 — Laure Verbaere, « Edmond Vermeil : le dernier héritier de Charles Andler ? »

15h45Pause

16h00Emmanuel Faye, « Reinhart Koselleck, Carl Schmitt et l’histoire »

III- SCHLUSSDISKUSSION | DISCUSSION CONCLUSIVE

16h45Podium | Table ronde